travail dominical : le retour de la loi Le Chapelier ?

un léger décalage...

Billet

Face à l'opposition d'une partie des députés des groupes UMP et Nouveau Centre, à la proposition de D. Paillé relative à la généralisation du travail le dimanche, les néo-libéraux ne manquent pas ressources...

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La députée Catherine Vautrin a sorti de son escarcelle le droit dit de rétractation...

Avec ce nouveau "droit", le salarié pourra changer d'avis, soit pour refuser de travailler, soit pour travailler le dimanche.

Ce nouveau "droit" qui n'en est pas un, révèle que la droite est soit hypocrite, soit cynique en laissant entendre que salariés et patrons sont égaux... Et qu'ainsi, à l'heure où le chômage augmente, les 1ers peuvent imposer individuellement leurs doléances à leur patron...

C'est le retour d'une vieille croyance, ni plus ni moins à la loi Le Chapelier, quand les organisations syndicales ouvrières étaient proscrites, aux motifs que employé et patron négociaient librement salaire et conditions de travail...

La fin de l'interdiction du travail dominical nous révèle les ambitions sociales de l'UMP et de notre omniprésident... La modernité néo-libérale s'apparente à un retour dans le passé et à des reculs sociaux...

Commentaires

1. Le dimanche 7 décembre 2008, 21:43 par Rébus

Croire qu'à l'heure actuelle un salarié est libre d'accepter ou refuser les diktats de son boss, faut vraiment vivre chez les bisounours ou plutôt être complètement cynique

2. Le lundi 8 décembre 2008, 00:36 par Yasârî

Vraiment, il se trouverait des patrons assez vils pour faire pression sur des intérimaires, des salariés en CDD ou précaires qui précisément sont nombreux dans le secteur du commerce?

Je ne peux y croire et si ça existe, c'est sans doute peut-être le fait d'une minorité irresponsable, mais ce ne remet pas en cause l'excellence du système (comme pour les parachutes dorés, les subprimes et la spéculation).

Sinon, à quoi ça sert que le MEDEF se décarcasse pour faire des chartes de déontologie?

3. Le dimanche 14 décembre 2008, 09:47 par naradamuni

Pour le repos dominical. Contre les nocturnes commerciaux.

Paul Ariès
Le Sarkophage, janvier 2008

Le gouvernement Sarkozy a choisi de faire du travail le dimanche le grand symbole de sa politique à la fois antisociale et anti-environnementale au nom du dogme économique parfaitement résumé dans son slogan de campagne « travailler plus pour consommer plus ». Les anti productivistes ne sont pas étonnés que ce pouvoir à genoux devant les milieux d’affaires veuille en finir avec l’un des derniers emblèmes d’une société qui se refuse à être uniquement une société économique composée de forçats du travail et de la consommation. La faiblesse des réactions du mouvement social n’est pas davantage pour nous surprendre car cette remise en cause du repos dominical traduit une victoire bien antérieure dans les têtes... Nous sommes pourtant convaincus qu’il est possible de résister et de créer sur ce terrain un rapport de force qui dépasse les clivages sociaux, politiques ou confessionnels habituels. L’anti productiviste que je suis se moque éperdument que ce jour tombe un dimanche : l’essentiel est que toutes les sociétés ont toujours admis la nécessité d’avoir (au minimum) un « jour différent » pour se livrer à d’autres activités que celles qui assurent la vie économique. Faut-il rappeler que 150 jours au moyen âge n’étaient pas travaillés car consacrées à Dieu ? Je ne fréquente personnellement aucune église mais j’ai, durant toute ma vie, fait mille autres choses le dimanche que travailler ou consommer comme faire la grasse matinée, distribuer des tracts sur le marché, partager un repas avec des amis, faire la sieste, bouquiner, etc. Tout cela n’a vraiment de sens que parce qu’une loi impose au nom de l’intérêt général de rompre avec le rythme habituel, bref à sortir de la routine pour imposer une autre temporalité et avec elle d’autres bruits dans ma ville, d’autres odeurs, d’autres gestes, d’autres regards, etc.

On voudrait faire croire que ce combat opposerait les anciens aux modernes voir les adeptes d’un retour au fondamentalisme religieux contre les tenants de la liberté.
Le principe du repos dominical n’est pourtant pas si ancien puisqu’il date d’une loi de 1906. Seuls les fonctionnaires (déjà des nantis, n’est-ce pas Sarkozy ?) bénéficiaient depuis 1802 du dimanche chômé. Le « jour du Seigneur » a en effet depuis le siècle des lumières subit moult assauts. Ceux des philosophes qui expliquaient dans l’Encyclopédie que le dimanche devait être travaillé comme les autres jours pour favoriser l’enrichissement de chacun et de tous. Ceux de la révolution française qui imposa son propre calendrier décadaire laïc et tellement plus « rationnel » et « scientifique » que le calendrier chrétien de l’ancien régime. Ceux des milieux d’affaires qui imposèrent une extension progressive du travail le dimanche pour devenir plus compétitif et parce que l’oisiveté serait la mère de tous les vices. Ceux des ouvriers qui préféraient les cabarets du lundi à la fréquentation des églises le dimanche.

L’adoption de la loi de 1906 qui fixe le principe de l’interdiction du travail le dimanche est donc l’exemple type d’un compromis social passé entre des forces sociales que tout oppose. La droite et l’église veulent utiliser ce jour pour moraliser la classe ouvrière grâce aux sermons religieux, les milieux d’affaires sont prêts à ce compromis car ils espèrent qu’il mettra fin à la pratique qui se développe alors de prendre des jours de repos en dehors de toute règle notamment en fêtant les plaisirs du « saint lundi » plutôt que le dimanche religieux. Les syndicats veulent bien fêter la saint-dimanche si son caractère religieux est oublié.

Le congé le dimanche accordé par la loi de 1906 n’est donc en rien un jour religieux.
L’historien Robert Beck a rappelé qu’une « loi pour la sanctification du dimanche » avait bien été effectivement adoptée en 1814 mais qu’elle était tombée peu à peu en désuétude avant d’être définitivement abolie par une nouvelle loi de 1880 qui donnait la liberté à l’employeur d’accorder ou pas un repos hebdomadaire et d’en choisir librement le jour. Comme l’écrit Beck : en 1906, on réinvente donc, le dimanche mais dans une perspective totalement laïque. La loi postule d’ailleurs dans son article 1 er le principe d’un repos hebdomadaire en le justifiant par des valeurs non religieuses comme la protection de la famille et le droit au repos. Le choix du dimanche n’apparaît que dans l’article 2 comme s’il s’agissait d’un pur hasard. L’adoption de cette loi modifia en fait principalement la vie des employés du commerce car la grande majorité des ouvriers avait déjà obtenu par leurs luttes le repos dominical.

La France fut l’avant dernier pays européen à introduire le principe du repos hebdomadaire.
Le patronat rechignait en effet à abandonner le libre choix du jour de repos et préférait autrement le voir attribuer aux élus locaux sur lesquels il savait pouvoir peser efficacement : il obtiendra d’ailleurs que les domestiques et les ouvriers agricoles soient exclus de ce droit. Le repos dominical ne se généralisera véritablement qu’au lendemain de la première guerre mondiale en écho à l’adoption de la journée de huit heures qui permet aux ouvriers de faire leurs courses un autre jour de la semaine et rend possible la fermeture des petits commerces.

Les milieux d’affaires vont profiter de l’affaiblissement du syndicalisme et de la généralisation des modes de vie capitalistes pour développer, dès les années 1980, une très forte pression dans le secteur des seules grandes surfaces (hors commerce de bouche dans un premier temps) puis de tout type de commerce pour obtenir une libéralisation de la loi de 1906. Les arguments avancés sont en partie traditionnels (assurer la rentabilité économique, sauver les emplois) et en partie plus modernes : satisfaire la demande légitime des consommateurs...
La gauche a pesé d’abord de tout son poids pour garantir le principe du repos dominical.
Un rapport du CES de 1989 détruit chacun des arguments de la droite et des milieux d’affaire. Non seulement l’abolition de la loi de 1906 entrainerait la destruction des commerces de proximité, l’exclusion familiale et sociale des salariés du dimanche mais elle renforcerait la tendance au consumérisme préjudiciable socialement, financièrement et écologiquement.
La victoire du sarkozysme va inverser le rapport de force car, face à une gauche aphone et à un mouvement écologiste affaibli, il devient possible de justifier cette régression au nom de la défense du pouvoir d’achat, de la liberté de travailler et de consommer et des libertés locales.

La question de l’ouverture des commerces le dimanche a ressurgi au lendemain de l’intervention télévisée de Sarkozy, le 29 novembre, sur le pouvoir d’achat. Il y affirmait son souhait de voir élargies les possibilités de travailler le dimanche, en posant deux conditions : que les salariés soient volontaires, et que les heures travaillées leur soient payées le double. Quelques jours plus tard, Xavier Bertrand annonçait les contours d’une nouvelle législation destinée à entrer en vigueur en 2008. Un nouveau pas était franchi le 14 décembre avec l’adoption d’un amendement UMP au projet de loi Chatel sur la concurrence, qui autorise l’ouverture le dimanche des "établissements de commerce de détail d’ameublement" . À l’Assemblée, Pierre Méhaignerie, le président de la commission des affaires sociales, et de nombreux députés UMP sont montés au créneau pour dénoncer cette modification de la législation sur le travail dominical au détour d’un projet de loi sur la consommation. Jean-François Copé, le président du groupe UMP, a chargé Richard Mallié d’une étude sur la question, afin de faire des propositions lors de la loi de modernisation sociale de 2008. Le patronat tout en marquant visiblement des points a choisi de rester relativement discret : la présidente du Medef, Laurence Parisot, se dit certes favorable à l’ouverture des grandes surfaces "huit ou dix dimanches de plus" par an, ce qui porterait à 13 ou 15 le nombre d’ouvertures autorisées, mais elle se garde bien de parler d’abroger la loi de 1906...

Le Medef sait que le rapport de force joue en sa faveur et que les meilleurs arguments sont ceux que lui apportent des économistes à la botte et les désirs de nombreux consommateurs. Les syndicats de salariés sont certes opposés à toute abrogation de la loi de 1906. Mais sur ce terrain comme sur beaucoup d’autres, ils estiment que le combat est perdu d’avance. Mieux vaudrait donc accompagner la réforme pour limiter la casse que s’y opposer frontalement. Le rapport que le CES vient de rendre (décembre 2007) est tristement révélateur de cette défaite : certes, il affirme que le travail dominical ne doit pas être banalisé mais c’est pour mieux accepter le principe d’assouplir la législation, avec des décisions « au plus près des territoires ».Cette attitude qui se veut contre le « tout ou rien » et pour un « dosage » local reprend l’argumentaire des milieux d’affaires en parlant de la nécessaire prise en compte de « l’intérêt manifeste du consommateur » et de la nécessité de respecter le volontariat... L’argument est doublement spécieux : parler de volontariat est absurde lorsqu’on connait un tant soit peu les pratiques de management en vigueur dans le monde doré des entreprises. C’est aussi faire peu de cas de l’intérêt général contre lequel le volontariat pèse tout de même peu. Faudrait-il accepter que l’on puisse payer des salariés au dessous du SMIC s’ils sont volontaires ou de ne pas appliquer des normes de sécurité s’ils sont d’accords ?

La résistance peut-elle venir des milieux religieux ?

La déclaration du Pasteur Claude Baty au nom de la Fédération protestante de France est troublante : certes, nous sommes d’accord avec lui pour dire qu’avec l’abandon du repos hebdomadaire, la religion de la consommation devient plus encore le culte officiel de la France mais pourquoi fait-il aussitôt de cette déclaration une position de principe contre la laïcité et la lutte antisectes ? « Ceux qui suspectent sans cesse les mouvements religieux d’égarement, sont curieusement muets devant le lavage de cerveaux que subissent adultes et enfants par le biais d’une publicité omniprésente, particulièrement en ce temps de Noël ! Ces défenseurs des innocents semblent indifférents à la frénésie consommatrice, à moins qu’ils n’en soient eux-mêmes le clergé ! Un comble ! » Est-ce vraiment parce que le France de 2007 est laïque que Sarkozy s’apprête à violer la loi de 1906 alors même que le principe du repos hebdomadaire est justement une conquête de la république laïque ? Les déclarations du Père Marc Aillet, vicaire général du diocèse de Fréjus-Toulon, ne nous conviennent guère mieux car cet homme d’église déclare ne pas savoir comment défendre le repos hebdomadaire ce « pilier de vie chrétienne et humaine, quand la sanctification du dimanche a progressivement déserté la conscience catholique depuis des décennies » ; « Cette désertion rend peu crédible aujourd’hui notre combat » ; « notre démission est la première cause de la banalisation actuelle du dimanche » ; « Il faut redonner une dimension sociale et communautaire à notre dimanche pour espérer avoir un impact sur la société »... Voilà que la laïcité serait pour lui aussi responsable de la religion de la consommation... ce qui lui évite de s’interroger sur le fait que ce viol du dimanche est le fait d’un président qui affiche pour lui-même (ce qui est son droit) sa foi mais aussi pour la société (ce qui est inacceptable). Non Pasteur Baty et Père Aillet, la laïcité n’est nullement en cause mais la loi du fric...

Trois fois « non » au travail le dimanche

« Non au travail le dimanche » pour des raisons de responsabilité environnementale. Nous ne devons pas apprendre à consommer et à travailler plus mais moins et autrement. L’ouverture des grands magasins le dimanche c’est la mort programmée des commerces de proximité, ce sont des millions de consommateurs avides de produits gadgets et d’achats d’impulsifs, ce sont des millions de camions de plus sur les routes chaque week-end, c’est la généralisation de ces banlieues immondes qui pub-tréfient nos paysages, c’est l’engrenage du devoir trimer plus pour pouvoir consommer davantage de choses inutiles.

« Non au travail le dimanche » pour des raisons sociales car les premières victimes « volontaires » seront ces salariées (souvent féminines) jetables, payées au rabais, cette génération à 1000 euros courant de petits boulots en stages interminables. Le travail le dimanche est un engrenage car après le secteur du commerce, ce sera le tour de ceux des transports, de la sécurité, des banques, de l’entretien, de la maintenance, de la restauration d’entreprise, etc., Les mêmes expliqueront demain qu’il faut ouvrir « 24 h sur 24 » pour que les « salariés du dimanche » puissent faire leurs courses ou accomplir leurs démarches administratives. Lorsque chaque jour de la semaine et chaque heure de la journée équivaudra à un autre, on expliquera doctement qu’il faut en finir avec ce privilège datant d’une époque moyenâgeuse.

« Non au travail le dimanche » pour des raisons de conception de la vie humaine car nous avons tous besoin d’un jour différent pour faire autre chose que produire et consommer, un jour qui nous soit commun, un jour pour être en famille, pour se faire plaisir, pour aller à la messe ou sodomiser son pacsé. Nous avons donc plein de bonnes raisons pour nous refuser ce jour là en tant qu’homo-oeconomicus, pour dire « basta » au travail et à la consommation, pour simplement découvrir la joie de vivre et de partager un temps non économique.

Non aux « nocturnes commerciaux »
Les anti-productivistes seraient tout autant pour un vendredi, un samedi et un dimanche chômés : cela pourrait s’appeler la semaine des 32 heures en quatre jours... Catholiques, juifs et musulmans y trouveraient leur dieu et l’athée que je suis y trouverait aussi son compte. Ne serait-ce pas déjà une façon de concilier les contraintes environnementales avec notre souci de défendre une vie qui vaille d’être vécue car pas uniquement et principalement économique ? Je n’aime pas travailler les vendredis, les samedis ni les dimanches mais pas le soir non plus. Je suis un adepte du droit à la nuit : extinction des lumières pour profiter de la vie. Fermeture déjà des magasins à une heure qui permette à chacun de jeter sa télé et de raconter de belles histoires à ses enfants (ou à sa compagne/compagnon qui a droit aussi à ce partage...).

Paul Ariès

4. Le dimanche 14 décembre 2008, 09:49 par pas perdus

Merci pour cette intervention que je découvre tardivement.

Je compte la publier dimanche prochain.