La claire fontaine (David Bosc)

un léger décalage...

Billet

« Il avait ainsi formulé son espoir politique : « Si nous arrivons à la liberté, nous établirons la révolution ». Les imbéciles se sont foutus de lui, parce que, pensaient-ils, c'était mettre la charrue avant les bœufs, et notamment les professionnels du changement de régime, les radicaux, les socialistes, les fameux amis du peuple, ont tout à perdre de ce progrès que l'on pourrait faire un jour : ne plus attendre la liberté comme un sucre, mais la découvrir en soi, la reconnaitre derrière les apparences, parfois d'une force combattue, haïe peut-être, que l'on prenait pour un ennemi de plus. Les esclaves et la marionnettes peuvent renverser les rois, les colonnes, les généraux - on leur fera déblayer les gravats. »

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Dans ce récit imaginaire qui repose néanmoins sur des faits historiques et des documents, David Bosc narre les 4 dernières années de Gustave Courbet. Après avoir purgé la peine de prison infligée par les versaillais, cet éminent membre de la Commune de Paris quitte son pays natal, à 54 ans, pour la Suisse. Il craint d'être à nouveau embastillé puisqu'il est injustement accusé d'être le principal responsable de la destruction de la colonne Vendôme érigée à la gloire de l'Empire. [1]

« L'homme qui venait de franchir la frontière, ce 23 juillet 1873, était un homme mort et la police n'en savait rien. Peu de temps avant son départ, il avait écrit : « Aujourd'hui, j'appartiens nettement, tous frais payés, à la classe des hommes qui sont morts, hommes de cœur, et dévoués sans intérêts égoïstes à la République, et à l'égalité.» (...) L'holocauste écœurant dans lequel furent jetés la Commune et les communards avait tant et si bien frappé Courbet qu'il se rangeait dorénavant parmi la classe des hommes qui sont morts »

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Le narrateur brosse le portrait d'un Courbet attachant, profondément humain, rabelaisien, plein de vie et passionné par son art, travaillant sans relâche, exécutant quasiment à la chaîne ses tableaux, aidé par quelques amis qui préparaient ses toiles et ses fonds, en prévision du remboursement de la reconstruction de la colonne Vendôme.

« Alexandre décrivit les derniers affrontements, la façon dont les tués semblaient surpris, mal préparés à devenir des cadavres. Il raconta sa fuite, avec Marie, il parlait avec fièvre et Courbet ne cachait pas son impatience. Ce n'est pas ça, ce n'est pas de ça qu'il s'agit ! Est-ce qu'on y avait été aussi parfaitement heureux qu'à Paris ? même quelques instants ? Voilà ce qu'il voulait savoir. »

Courbet fuit les souvenirs et les intrigues politiciennes, il aime par dessus tout la liberté, la nature, les compagnons d'exil, les femmes, la bonne chair et le vin. C'est l'archétype du bon vivant, de l'homme généreux et jouisseur qui fait la fête jusqu'à pas d'heure et qui, chaque jour, se lève en début d'après-midi pour reprendre son travail. Si l'auteur montre un Courbet libre, détaché des contingences de la vie quotidienne et de la morale étriquée, en arrière fond se dessine aussi l'ombre d'un homme qui se suicide à petits feux en ne réduisant pas ses excès.

« Courbet préférait ne pas parler de la Commune. lui qui s'était sa vie durant roulé dans la vantardise, l'esbroufe à tout propos, fanfaron et m'as-tu vu, mon coco ! jamais on ne l'entendit faire l'ancien combattant. La Commune était dans son cœur comme un amour défunt. »

Ce récit permet de comprendre que l'artiste et l'homme ne font qu'un, que sa vision de l'art et son art, son réalisme, ses choix artistiques et sa palette sont indissociables de son amour pour la liberté, à l'image de cette formule affichée dans son atelier :

« Fais ce que tu vois et ce que tu ressens. Fais ce que tu veux. »

Note

[1] « La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète : article unique - La colonne Vendôme sera démolie. »

Commentaires

1. Le jeudi 14 novembre 2013, 18:37 par lediazec

Un mot à dire sur tout ce que je viens de lire, j'ai les tripes et le mot à fleur de lèvres, un mot unique et irréversible me vient : Abajo las cadenas ! La libertad o la muerte ! Viva la Anarquía !
Merci DPP !

2. Le jeudi 14 novembre 2013, 19:03 par Eric Caillé

Quand même ! Merci.

3. Le vendredi 15 novembre 2013, 17:57 par des pas perdus

De rien les amis