Clavel soldat (Léon Werth)

un léger décalage...

Billet

« C'est un anéantissement comme en cellule... La patrie ?... La civilisation ?... La guerre ?... Qu'est-ce que cela ?... Il n'y a rien que ce trou... Il n'y a plus rien qu'à attendre la mort dans ce trou... »

Clavel est un jeune homme d'origines modestes qui a brillamment réussi ses études supérieures. L'agression allemande contre la France balaie ses plans de carrière, mais surtout, un temps, ses convictions internationalistes, voire socialistes (aucun rapport avec le parti dirigé par C. Cambadelis). Il se porte volontaire, à l'instar de Blaise Cendrars ou de Guillaume Apollinaire, en pensant naïvement aux soldats de l'an II.

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« Ce mépris de la guerre qui est en nous, cet absolu mépris, il n'y a que cela qui nous tient debout... Il est notre foi, il nous sert d'hygiène intérieure comme l'acceptation de la chose militaire à ceux qui ont fait vœu d'obéissance... Ceux-là marchent sans regret, mais ils ne sont guère nombreux. Je ne vois guère ici que Machard-Pasquier... Les autres officiers sont tenus par le respect humain et quelques-uns cherchent à se faire évacuer... Quant aux hommes, ils vont en troupeau. »

La guerre le ramène à la réalité avec son cortège d'horreurs, de camarades tués à cause de tirs arrières mal ajustés ou d'ordres imbéciles, voire opportunistes, de conditions quotidiennes inhumaines, d'une intendance en-dessous de tout, de la propagande officielle qui gave la population de victoires héroïques, de témoignages bidonnés de soldats dans la presse, de mensonges de l'armée sur l'héroïsme des morts pour consoler les familles...

« L'officier, avec sa peau lavée, ses souliers cirés dès le cantonnement, même à risque égal ne peut voir la guerre comme un soldat. A la guerre, il reste un Monsieur. (...) Même quand il partage à la tranchée le risque du soldat, ce n'est que bien rarement un partage absolument égal. S'il n'y a qu'un abri il est pour l'officier. Et s'il n'y a pas d'abri du tout, dans une nouvelle tranchée, le premier ordre donné au soldat est d'en construire un pour lui. »

Le narrateur décrit son quotidien, la permanence des classes sociales, les différentes perceptions de la guerre chez ses compagnons d'infortune, les espoirs, les vies sacrifiées, la fatalité qui prédomine dans les rangs, les pelotons d'exécution, l'omniprésente de la mort, la puanteur, la fatigue, la souffrance autant physique qu'intellectuelle, la folie et la peur. Sa description de l'arrière est pleine de dégoût à cause de l'impossibilité pour les soldats de témoigner tant la propagande abrutit la population ou de la rapacité de certains commerçants.

« S'il existait un patriote qui fût capable d'observer, je crois qu'il souffrirait autant de la guerre qu'en peut souffrir le plus sentimental des anarchistes. il verrait que les hommes s'y vident d'eux-mêmes, de leurs souvenirs, et qu'ainsi dépouillés, ils font tout bêtement la guerre en forçats résignés qui jouent aux cartes quand ils sont de loisir, en condamnés à mort qui joueraient, non pas avec leurs gardiens, mais entre eux. »

Léon Werth montre la face cachée de la guerre, l'égoïsme exacerbé de certains, comme ces médecins et ces infirmiers qui ne vont pas secourir des blessés, préférant poursuivre leur partie de cartes. Il dénonce également le cynisme du pouvoir qui envoie les tirailleurs sénégalais se faire tuer au nom de la défense de la patrie des droits de l'Homme. Enfin, Il souligne l'absurdité de la guerre en évoquant les moments de fraternisation sur le front ou les exécutés pour l'exemple...

« Tout est englouti chez lui dans la torpeur. Chez lui comme chez les autres, tout est subordonné à l'idée d'en revenir. Il vit comme dans un interminable naufrage (...). »

Clavel soldat tient plus du récit autobiographique que du roman, un regard acéré, sans concession, sur la guerre et une réflexion sur les hommes. De la grande littérature contre le bourrage de crâne.

« Ils sont partis pour défendre la civilisation. Mais le mot commence à s'user. La guerre le tue d'elle-même. »

Commentaires

1. Le mercredi 11 novembre 2015, 08:24 par Lou de Libellus

Ça, c'est curieux, j'ai noté 'Léon Werth, 33 Jours' dans un programme à venir. Je l'ai lu il y a longtemps.
Je ne connais pas 'Clavel soldat'.
"ces médecins et ces infirmiers qui ne vont pas secourir des blessés, préférant poursuivre leur partie de cartes. Il dénonce également le cynisme du pouvoir qui envoie les tirailleurs sénégalais se faire tuer au nom de la défense de la patrie des droits de l'Homme. Enfin, Il souligne l'absurdité de la guerre en évoquant les moments de fraternisation sur le front ou les exécutés pour l'exemple..."
Sois patriote ! Aujourd'hui, nous célébrons avec force blindés et missiles, le 11 novembre et Philippe Pétain, le sauveur de la France, comme on le chantait dans les écoles en 1940.
Sur les tirailleurs sénégalais, il y a un film de Sembene Ousmane, 'Camp de Thiaroye'.
Sembene existe, je l'ai rencontré.
http://www.libellus-libellus.fr/art...

2. Le mercredi 11 novembre 2015, 08:47 par lediazec

"Maudite soit la guerre", très beau billet sur le sujet chez le Cénobite http://lescenobitestranquilles.fr/2...

3. Le mercredi 11 novembre 2015, 10:12 par des pas perdus

Lou, je m'y efforce, tu me connais !
Lediazec, merci pour le lien, un billet excellent.

4. Le mercredi 11 novembre 2015, 12:14 par Un partageux

Trente trois jours est aussi un livre fort recommandable. On serait tenté de le faire lire de force à tous nos BHL va-t-en-guerre.

5. Le mercredi 11 novembre 2015, 17:13 par des pas perdus

Bien d'accord Hubert.