Efix-Levaray : Putain d'usine

un léger décalage...

Billet

« Tous les jours pareils. J'arrive au boulot. Et ça me tombe dessus comme une vague de désespoir. Comme un suicide. Comme une petite mort. Comme la brûlure de la balle sur la tempe. »

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Histoire de changer, Putain d'usine est une bd entièrement en noir et blanc. Faites de vignettes de taille moyenne et parfois d'une page où le dessin et la photo d'Efix et le texte de Jean-Pierre Levaray se côtoient à merveille. Plus qu'une adaptation du roman de ce dernier, la postface, très intéressante où les deux amis racontent le processus d'élaboration, précise qu'ils ont fait cette bd en équipe.

« Non, je parle de ces moments qui tombent comme ça dans les ateliers. Sans crier gare. Ou presque. Dire non, c'est jubilatoire. Comme un môme ! C'est une façon de retrouver un peu de soi-même. Un peu de la fierté perdue en acceptant le salariat. Comme si pour quelques jours on prenait nos vies vraiment en main. Dire non et dire pourquoi.»

Putain d'usine, c'est la vie d'un ouvrier comme des milliers d'autres. Un choix ou plutôt un non choix parce qu'il faut un minimum de thunes pour vivre décemment. 27 ans de boite. Subir les cadences, les horaires en 3 X 8, le travail le dimanche, la hiérarchie, les conditions de travail qui emportent les camarades de galère bien avant la retraite à cause de conditions sanitaires et de sécurité déplorables, des dépressions, des drogues légales comme l'alcool... C'est aussi, sous-jacente, la conscience de classe face à la direction qui oblige à la révolte, à la mobilisation, à la grève, non pas pour la révolution, mais d'abord pour soi, pour sa propre dignité face au mépris social et à l'exploitation.

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« Tu travailles là, toi ? (...) J'ai été muté ici il y a 4 ans. C'est pas un cadeau, je te jure ! T'as vu l'état ? On attend la fin... C'est le stress total. Obligé de prendre des trucs pour tenir. (...) On envoie balader les chefs. On vient travailler en traînant les pieds. Qu'on ne me parle plus d'amour du travail ! C'est bon pour les artisans ! Il y a bien longtemps que les ouvriers ne pensent plus comme ça. »

Putain d'usine est une suite cohérente de courts chapitres comme autant de tranches de vies ouvrières. Christian viré parce qu'il ne maîtrise plus son alcoolisme qui tente de détruire la maison du directeur, le travail de nuit ou le dimanche, le café à l'embauche, la douche, l'apéro, le comité central d'entreprise où les dirigeants ne lâchent aucune information sur tel ou tel site, Jean-claude, mort d'un cancer radical après une dépression après avoir perdu tout espoir de devenir ingénieur à cause de la direction, Karim l'intérimaire qui balaie des poussières toxiques, le pote qui démissionne après 27 ans de boite, la grève surprise et la grève générale... L'usine comme une prison dont il est difficile de s'échapper vivant, jeune et en bonne santé, mais plutôt usé, malade ou les deux pieds devant...

« Trop de copains sont morts sans attendre la retraite. C'est dans les statistiques : les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres. Le stress, les horaires, les produits manipulés... Avant, on s'arrangeait avec la sécu pour prendre un peu de repos. Le repos est devenu éternel. »

Commentaires

1. Le mercredi 20 avril 2016, 07:15 par Lou de Libellus

Tiens, une bande dessinée en noir et blanc, j'en ai une programmée pour le 1er mai - mais c'est genre nippon.
Une fois de plus, j'admire ton optimisme (en vidéo).

2. Le mercredi 20 avril 2016, 10:42 par Robert Spire

Dans les années 75/78, je suis allé à quelques concerts de Béranger et c'était chaud dans les salles avec les fachos qui venaient perturber l'ambiance. Quant-à ces "putains d'usines", c'est 38 ans de ma vie, il y aurait tellement à dire...je me bornerai à signaler que le travail dans ces "putains d'usines" à été remplacé par du chômage longue durée ou du travail moins protégé et plus mal rénuméré. La désespérance est bien plus grande aujourd'hui, il y a 30 ans je pouvais changer de boulot d'une usine à l'autre comme je voulais pour trouver de meilleures conditions de travail et puis en trés peu de temps ce genre de démarche a quasiment disparu.

3. Le mercredi 20 avril 2016, 22:08 par des pas perdus

Lou, tu connaissais cette chanson avant de venir ici.

Robert, je me souviens de discussions avec des collègues de la Poste quand je bossais la nuit qui me racontaient les années 70. Inimaginable pour ceux qui sont entrés comme moi au début des années 90.

4. Le jeudi 21 avril 2016, 13:30 par babelouest

Les années 70 DPP ? Imagine, dans mon entreprise on avait des tas d'activités hors du boulot, où tout le monde se retrouvait (selon les affinités bien sûr). C'étaient des bénévoles qui organisaient voyages, activités sportives ou culturelles, et j'en passe. Quand j'ai quitté la boîte en 2001, au comité d'entreprise ils avaient six salariés - et le budget n'avait pas tellement augmenté. En revanche il n'y avait plus de bénévoles. C'é-tait-mort. Le même esprit d'entraide avait également disparu du boulot lui-même le plus souvent. Il est même étonnant qu'on ait pu tenir en 1995 une grève d'entreprise à 85% pendant 10 jours sans lâcher - ce sont les syndicats qui se sont déballonnés, pas les employés.

5. Le jeudi 21 avril 2016, 18:48 par AgatheNRV

Tes pas ne sont jamais perdus. Tu les poses toujours là où les yeux doivent regarder.

6. Le jeudi 21 avril 2016, 21:56 par des pas perdus

Bien d'accord Bab.

Merci Agathe, mais en ce moment je fais plutôt du surplace...