esprit bureaucratique

un léger décalage...

Billet

Heureusement son téléphone a retenti fort à propos. On en saura plus quand elle nous fera admirer son album de photos... Toujours un grand moment. Le silence momentanément installé, je pus enfin m’attaquer au dossier, jeter quelques notes sur une feuille et comprendre la logique et la problématique de la chose. L’après-midi, je composais une petite note de deux pages qui dégraissait, simplifiait et expliquait les enjeux. Avant de partir, je pissais ma lettre aux services concernés.

Lundi à la prise de service, le chef me tombait dessus : «Stéphane, je vous confie un travail hyper urgent ». Oula, la semaine commençait mal. Voyez-vous, je suis partisan des reprises en douceur, avec si possible, une montée en puissance au cours de la journée, pas trop fulgurante, pour profiter de mon après-boulot.

Je ne refuse jamais une tache, d’une part si elle est intéressante, et d’autre part, si elle me détourne de la routine. Mais je n’aime guère qu’on me mette la pression. « Vous devez éplucher, toutes affaires cessantes, le dossier (20 centimètres d’épaisseur quand même), et rédiger une synthèse pour expliquer les enjeux au Directeur. Vous devrez aussi préparer le courrier aux services concernés, en exigeant une réponse pour le 20 juillet ». Bien bien…

Devant pareille mission, je m’attaquais aussitôt après avoir bu mon café et écouter Frétillou qui semblait étonnée qu’on me sollicite ainsi. Oui l’amie, tu vas devoir te coltiner tout le secrétariat. Finie la belle vie, tu reviens de vacances, tu dois péter la forme. Je ne vous l’avais pas dit ? Ma chère collègue revenait d'une semaine de congés, vêtue d’une tenue rock’n’roll, avec une robe en jean couverte de clous et de fermetures éclair. Cela flashait un max, mais dangereux par temps orageux !

Frétillou en Tunisie. Farniente, plage, piscine et thalasso. La petite mère déteste les aaaaaaarabeux, « sale race », « tiens encore un aaaaaaaaarabeux qu’à fait ça ! », « tous les mêmes », rouspète-t’elle, quand elle se plonge dans la lecture de 20 Minutes et du Parisien. Frétillou est une intellectuelle qui s’informe de la marche du monde, et après une longue et profonde réflexion, nous délivre une analyse limpide, structurée et frappée du bon sens, avec mise en perspective sur les tenants, les moyennants et les aboutissants du problème ! Bref, elle sait se mettre à notre bas niveau ! Elle ne peut savoir combien on lui en sait gré…

Comme elle l’affirme la main sur le cœur, elle n’est pas raciste. Mais alors, pas du tout. La preuve, passer ses vacances en Tunisie fut un vrai bonheur. Elle préfère les aaaaarabeux chez eux. C’est tout. Comme Le Pen ! Cela lui rappelle son passé en Algérie… Ils étaient tellement sympas et serviables, hum le thé après s’être fait masser le coooooorrrrps , je ne vous dis que ça ! Et puis, l'hôtel avec ce personnel disponible et agréable, la boite de nuit top niveau, eh oui, qui ne passait que de la bonne musique avec champ à volonté, et du bon, je ne vous dis que cela… Oh, tu sais, nous les détails…

En quittant la tour, encore frais et dispo, j’étais relativement content de moi. J’avais rempli ma mission commando, Frétillou s’était montrée discrète et charmante, et la clim avait fonctionné à merveille. Mardi, mercredi et jeudi, ce fut le train-train… Quelque chose commençait à m’inquiéter. Le parapheur ne revenait pas… Ce vendredi en rentrant, je le vis posé sur mon bureau. Je l’ouvre. Ma synthèse n’avait pas été retouchée : ouf ! Par contre, mon chef s’était déchaîné sur mon courrier : la rage !

On ne doit pas avoir tous les deux la même définition du mot urgent… Le bougre a mis 4 jours pour présenter ses ratures, glisser telle phrase en bas, telle autre en haut, ajouter un mot par-ci et par-là… En lisant son chef d’œuvre, j'ai jugé que les retouches n’apportaient rien… 4 jours quand même ! Un record. Il a dû griller quelques neurones pour modifier ma lettre. S’attaquer à ma note aurait relevé du suicide ! Il a bien fait de s’abstenir. A y penser, ma déception a laissé place à la satisfaction…

Ces derniers temps, il semblerait qu’il prenne un malin plaisir à mettre son grain de sel partout. Sans doute pour se réaffirmer… Tous les courriers de Frétillou reviennent systématiquement, le soir-même, biffés et raturés. Pourtant, cela fait 5 ans qu’elle les envoie, ne modifiant que la date, le nom des personnes et des produits, ainsi que l’adresse des destinataires. La reine du copier/coller et de la lettre type a son explication : « il doit avoir des problèmes avec sa femme, si vous voyez ce que je veux dire… ». Hum, quelle finesse d’esprit…