dommages bureaucratiques

un léger décalage...

Billet

Frétillou est revenue toute bronzée du week-end prolongé du 14 juillet. Elle est arrivée fort tard cette nuit à cause d’une alerte à la bombe à la gare de Saint-Charles. Cette attente stressante en pleine cagnard dans la poussière fut pénible. Elle a carrément déclaré, ce qui ne manque pas de sel, qu’elle était une victime collatérale des attentats de Londres, et que la SNCF devrait la rembourser pour les 2 heures de retard. « Un scandale ! Certes, c’est la sécurité mais quand même ! Faut pas pousser, d’autant que la clim ne fonctionnait pas, quel calvaire ! » Nous compatîmes. Ereintée avant de travailler, ce n’est pas ainsi que notre chère collègue aspirait affronter cette grande journée.

Et oui, c’était notre d-day ! Entièrement consacré à l’évaluation du personnel. L’occasion de revenir sur l’année écoulée, de discuter sur ce qui a été et devrait être amélioré… Le chef nous a reçu dans son bureau pour un entretien individuel d’une heure minimum. On qualifie cet événement annuel comme on veut, évaluation ou arnaque, lequel tient à la fois du cercle de qualité à la japonaise et à la définition d’objectifs précis.

Des esprits naïfs, voire simplets, ou des thuriféraires du monde merveilleux de l’entreprise, forcément moderne, vantent ce genre d’initiative, sensée impliquer le salarié dans son travail en lui donnant la parole, pour démontrer que la boite est citoyenne en écoutant, en intégrant et en matérialisant parfois les idées géniales de ses salariés.

A priori, cet entretien donne une certaine stature à l’interviewé, qui peut se sentir important, voire indispensable, certains le pensent sincèrement, et qui, à l’aune de son savoir et de son expérience, apporte ses idées, suggère quelques propositions, et ainsi, espère améliorer le fonctionnement du service, et retirer un bénéfice à la fois collectif et individuel. Evidemment, la réalité est toute autre. A moins de compter parmi les membres du Directoire ou du Conseil d’administration, l’opération vise insidieusement à améliorer la productivité de chaque salarié, ce qui revient, dans la période actuelle, à travailler plus, avec moins de personnes, pour un salaire égal, sans prime supplémentaire.

Dès lors, on pourrait escompter que l’interrogé se confie le moins possible à son bourreau, par simple principe de précaution, s’il ne peut garder le silence. En clair, qu’il ne collabore pas et ne se jette pas dans les bras de son chef… Or, l’entretien d’évaluation du personnel est le côté pile de la notation annuelle. En l’occurrence, s’il désire être noté convenablement, bénéficier de réduction d’ancienneté, voire d’une promotion, il devra fournir un travail au moins correct, tout au long des 12 mois, et aussi, à la fin de l’exercice, proposer et énumérer ses futurs objectifs annuels… En quelque sorte, donner des verges pour se faire battre en demandant plus de travail…

Quand Fétillou revint, elle fut peu diserte. Son attitude avait changé du tout au tout. Avant d’y aller, nous l’entendîmes, à maintes reprises, fanfaronner : «je n’en ai rien à foutre puisque je me barre du service en septembre, je ne vois pas l’intérêt. Enfin, ça me fera une pause ». Comme tout bon psychologue et fin tacticien, mon collègue Codde a attendu qu’elle se remette de son choc, et profité de mon absence, pour lui « tirer les vers du nez » .

En fait, pas de quoi fouetter un chat ! Notre chef a d’abord émis des commentaires relativement neutres, sans doute pour qu’elle demeure « productive » et ne garde pas des dossiers en instance. Par contre, il a ensuite abordé le domaine périphérique au travail proprement dit, et c’est ce second point qu’elle n’a pas digéré. Il lui a reproché son attitude « très avenante » vis-à-vis des partenaires et des clients, qui téléphonent ou qui effectuent une visite de courtoisie. Passe encore une opération de séduction, en direction de l’un d’eux, mais de là à verser dans la grivoiserie et dans des propos ambigus, il y a une nuance qu’elle ne semble pas saisir… « Que ce fut gênant, me confia mon collègue, d’abonder dans son sens lorsqu’on n’est pas du tout d’accord avec elle ! J’ai fait ma B.A. »

Il n’empêche, ce divan improvisé eut le mérite de la détendre. Pour parfaire sa sérénité, et oublier ce mauvais souvenir, rien de tel que de laisser courir son imagination en ouvrant les pages de l’album des dernières vacances. Au demeurant, de superbes images de son séjour en Tunisie hormis celles où elle apparaît... Avouons-le, nous manquons d’objectivité. Nous la vîmes donc sur de trop nombreuses photos, en restant stoïques au prix d’un effort important, sous toutes les coutures, en tenue fort légère, entrain de se dorer la pilule et les tétons. Que ne ferions-nous pas pour travailler dans une bonne ambiance… ? "Les bouts à l'air, elle ne parait pas du tout à bout la Frétillou" me chuchuta une collègue, ce qui en ces circonstances faillit me faire défaillir...