chute bureaucratique

un léger décalage...

Billet

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Tandis que les vacances devenaient déjà un doux souvenir, je reprenais les habitudes de la vie de bureau. Arrivé tôt, sans trop d’enthousiasme pour éviter la foule au RER, je lisais la presse et profitais du silence qui régnait dans la Tour. En me servant une deuxième tasse de café, je remarquais que les plantes de ma collègue bien aimée n’étaient plus sur le meuble, et que des cartons étaient rangés sous son plan de travail.

Aux alentours de 9 h, mon collègue Codde arriva. Il ne perdit pas une seconde pour s‘employer avec maestria à me délivrer une rapide remise à niveau . Il est vrai qu’aujourd’hui, dans ce monde en perpétuelle mutation, trois semaines d’absence peuvent causer des lacunes importantes, qui risquent de se répercuter sur le travail du salarié, de façon négative. Il appartient donc à l’entreprise, forcément citoyenne, quel pléonasme, de veiller à mettre en place un dispositif de haut niveau de formation continue, forcément coûteux, mais ô combien essentiel pour résister à la concurrence… Mais revenons à l’essentiel, il m’informa que Frétillou avait poursuivi sa descente aux enfers…

A force de chuter, elle se scratcha ! A son retour de congés, elle avait perdu le goût du travail, ou tout au moins, n’essayait plus de sauver les apparences… Ainsi, chaque fois que l’un des chefs lui demandait de taper, photocopier ou envoyer un courrier, elle ne disait rien et n'en faisait pas plus. A un moment donné, cette inactivité devint trop voyante, ils commencèrent à hausser le ton. Elle s’y remit mais au ralenti… Le retard devint important, les dossiers s’accumulaient, les piles risquaient de choir : les chefs la convoquèrent… Cela lui plût modérément. Elle se rendit chez le chef des chefs : le directeur de cabinet du P.D.G., pour se plaindre de harcèlement moral.

Evidemment, on peut compter plus de 30 ans de vie active et flirter avec la soixantaine, avoir vécu les joies du mariage et du divorce, élevé un enfant jusqu’à ce qu’il vole de ses propres ailes après de brillantes études, regardé avec assiduité les émissions de variété et les téléfilms, ne jamais rater un seul J.T. du soir, bref en deux mots, être cultivée et responsable, il n’en demeure pas moins qu’elle fut naïve de tenter cet ultime coup! Le Dircab, se remémorant sans doute ses diverses frasques et notamment celle des derniers congés, la renvoya illico presto et lui ordonna de rattraper le retard. Il l’informa qu’il ne voulait plus la voir à l’étage dans une huitaine.

9h30, Frétillou arriva en vedette américaine. Tous les collègues s’évaporèrent comme par enchantement. Elle annonça à Codde et moi qu’elle ne faisait que passer avant de rejoindre son nouveau service, lequel avait fait le forcing pour "l’avoir" avec trois semaines d’avance sur le calendrier. Pour l’occasion, sa tenue était plutôt « sport » : petit pantalon moulant, rose avec rayures noires verticales, façon Buren, petit haut angora vert pomme avec décolleté, ceinture militaire très fashion et escarpins hadidasse à talons compensés… Ainsi, elle démontrait en cette ultime présence, combien elle savait « s’adapter aux circonstances en demeurant chic et pratique pour déménager ».

Quand toutes ses petites affaires furent rangées sur le chariot, nous l’invitâmes à partager un café. Elle refusa poliment, invoquant qu’on l’attendait… Finalement, nous n’insistâmes pas plus, lui souhaitâmes bonne chance, et comme l’heure du déjeuner approchait, nous estimâmes qu’il était plus judicieux d’ouvrir une petite bouteille de champ’ pour fêter le départ de Frétillou !