galette bureaucratique

un léger décalage...

Billet

L’autre jour, Démerdou arriva vers 10 heures moins dix. Elle nous salua à peine, versa le café dans son mug, prit quelques chemises cartonnées avant de se diriger vers l’ascenseur.

_« Elle n’est pas très loquace ce matin, vous ne trouvez pas M. Codde ? ».

_« Je crois qu’elle va à sa réunion ».

_« Celle de 9H30 ? ».

_« Oui oui, tout à fait, elle nous a encore rebattu les oreilles avec ça hier avant de partir »

_« L’heure a sans doute été décalée, M. Codde », répondit Mireille, la nouvelle secrétaire du service.

_« Elle aurait dû vous prévenir dans ce cas… » .

_« Certes, mais que voulez-vous… ». La discussion en resta là et chacun s’attela à son labeur quotidien !

A son retour, ma chère collègue qui rayonnait me fit un exposé détaillé de la réunion. Il y avait Untel, le ceci de la société XXX, et madame Tartempion, la cela du groupe XXYY. Tout s’était déroulé à merveille, elle avait même eu ensuite l’insigne honneur de papoter avec eux et de connaître leurs parcours professionnels respectifs ! Tandis que je me préparais à lui avouer d’un ton mielleux qu’elle avait véritablement de la chance de travailler parmi nous, et par ses hautes fonctions de rencontrer de telles huiles, l’adjoint déboula dans le bureau et l’invita à le suivre.

L’entrevue dura une bonne demi heure. De passage au secrétariat, pour vérifier si j’avais du courrier et insérer quelques lettres dans le parapheur, je le croisais tandis qu’il buvait son café. Il me dit que la réunion n’avait pas été inutile mais qu’il avait « ramé comme un damné ». Remarquant mon air surpris, l’adjoint précisa qu’il s’était surexposé pour essayer de cacher les frasques de Démerdou et qu’il venait précisément de la recadrer. « C’est une catastrophe industrielle ! » s’exclama-t-il. « Elle est arrivée « tranquillou » avec trois-quart d'heure de retard à ce rendez-vous de travail qui réunissait des sociétés partenaires. L'objet consistait à finaliser l'accord quant au développement du produit. Des années de travail de recherche, de finition, et de marketing, sans compter la campagne de pub qui est prête et qui coûte bonbon... Un retard même prévisible est toujours excusable ; embouteillage, aléa sur le réseau des transports en commun ou panne de réveil, peu importe, mais il y a l’art et la manière. On s’efforce de s'introduire en toute discrétion et de s’excuser ensuite, soit en fin de réunion, soit par une parenthèse succincte à l’introduction ou à la conclusion d’une intervention… » me dit-il avant de poursuivre. « Elle a eu le culot de rentrer en vedette américaine en coupant la parole à Monsieur XXX, président de la société YYY ! Je ne te raconte pas le tableau, elle tenait en plus son mug, ce récipient infâme, à la décoration kitsch, qu’elle ne doit jamais nettoyer, tant l’intérieur a perdu sa blancheur originelle depuis belle lurette ! Elle a posé son cul et s’est contentée ensuite de consulter quelques documents ».

_« Vraiment ? »

_« Attends, si ça s’était arrêté là, passe encore, j’aurais mis ça sur le compte de l’inexpérience et passé l’éponge ! Mais figure-toi qu’à un moment donné, sur une question concernant directement ses attributions, je lui ai donné la parole : elle fut incapable de répondre, ou plutôt si, elle raconta n’importe quoi, ce qui m’obligea à intervenir de toute urgence. Bref, pour rattraper le coup, je me suis efforcé de faire passer ses erreurs pour des imprécisions ! Si je n’avais pas été là, le groupe se serait retrouvé non seulement à produire et à livrer mais en plus à payer la marchandise ! Tu vois le tableau ? A deux doigts du dépôt bilan ! Bonjour l’image du service et du groupe ! J'ai fait ce que j'ai pû sur ce coup-là mais je ne serai pas toujours derrière elle !. Alors, à l'instant, je lui ai clairement signifié d’une part, qu’elle n’avait plus aucun joker, et d’autre part, à la prochaine frasque, un rapport circonstancié serait directement adressé à la Direction Générale ! Elle a beau avoir des relations, elle vient de se griller toute seule comme une grande. Je l’ai à l’œil ! ».

En revenant à ma place, Démerdou m’annonça, en se limant les ongles, qu’il y avait la galette à 16 heures. Elle me demanda même mon avis sur le vernis qu’elle avait l’intention de se mettre. Examinant ce petit flacon à la teinte sombre, je lui répondis instantanément pour abréger le dialogue, tant cette question m’indifférait au plus haut point, que « le résultat devrait être saillant ». Sur ce, la demoiselle poursuivit son impérieuse tâche. A priori, aucunement traumatisée, elle venait de classer le fameux recadrage à la rubrique « pertes et profits »…