retraite bureaucratique

un léger décalage...

Billet

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Bienvenue dans le monde de l'entreprise moderne : Pour les personnes égarées qui découvrent ce blog, nos pas perdus rappellent cette triste vérité : nous ne vivons point exclusivement d'amour et d'eau fraîche... Une partie de notre précieux temps est consacré à des tâches bureaucratiques. A l'instar des précédentes, cette chronique narre (rien à voir avec le verbe marrer) le quotidien parfois exaltant et souvent monotone d'un salarié de la Boite. Cette célébrissime société multinationale, aux profits et au chiffre d'affaires gigantesques, dont nous ne divulguerons pas le nom pour des raisons évidentes de confidentialité, affronte, avec l'appétit d'un prédateur jamais rassasié mais dotée d'une conscience citoyenne jamais démentie, la concurrence impitoyable et déloyale dans le contexte ardu de la mondialisation... Ames sensibles s'abstenir ! Si la curiosité vous démange, soulagez-vous en cliquant sur l'image...

Alors que le service se remettait doucement du pot de départ à la retraite de notre secrétaire, une indécrottable sexagénaire ronchonneuse prête à férailler contre tout ce qui était plus gradé, donc très sympathique la dame, et que les uns et les autres dissertaient encore sur la qualité des petits fours et du champagne, nous reçûmes tous dans nos bureaux respectifs la visite de la chef et de son adjointe.

Elles venaient annoncer de visu au petit personnel qu'elles nous quitteraient à la fin du second trimestre pour rejoindre des affectations qui leurs correspondaient mieux. Il fut question de choix décisif de carrière, d'inclinaison particulière pour telle et telle matière ou encore de volonté de rebondir...

Si l'objectif avoué était de couper court tout bruit de couloir, on peut dire que c'était raté. Une nouvelle d'une si haute importance ne peut échapper aux commentaires divers et variés. Durant toute la matinée, cet événement exceptionnel mobilisa officieusement le service. Les questions fusaient sur les éventuel(le)s remplaçant(e)s. Les remarques ne se cantonnaient pas seulement au domaine professionnel et allaient aussi bon train sur la vie privée de nos deux futures ex-chefs.

Un(e) ou deux idiot(e)s de village se demandaient comment le service allait fonctionner après ce double départ : « non mais, tu te rends compte, ça va forcément cafouiller, les nouveaux n'auront personne sur qui s'appuyer ! C'est lamentable question management. Mais que fait la haute hiérarchie ? »... D'autres répondaient ouvertement que cela ne pouvait pas être pire : "communication interne proche du néant, réunions de service au nombre de deux par an, mauvaise coordination entre les bureaux, appropriation du travail des agents par ces deux loustics, rétention de l'information, carriérisme aggravé, tu parles si ça peut être pire !"... Un troisième groupe estimait qu'on savait ce qu'on perdait... et qu'il fallait rester prudent dans les pronostics : "au boulot, croyez-moi, le pire est souvent devant nous...". Ambiance particulière...

Evidemment, il y avait également des collègues pour qui leur petit monde s'écroulait. Certain(e)s travaillaient depuis plus de 20 ans avec l'adjointe. Des liens forts s'étaient peu à peu tissés pour se briser en une seule matinée ! Elles pensaient que c'était une copine depuis le temps ! Bien vu les jolies !« Elle aurait pu me prévenir avant. Elle a caché ses intentions pendant tout ce temps. Je comprends pas pourquoi, moi qui lui faisait confiance ! ». Une autre ajoutait : "et dire que j'ai quasiment été sa béquille quand elle s'est fait larguer ! Faut voir tout ce qu'elle me racontait ! ". La plus naïve était tellement inconsolable (c'est véridique) qu'un collègue dû l'accompagner à l'infirmerie et la suivre toute la journée...

Tandis que la journée se poursuivait à un rythme pas très en phase avec les défis de la mondialisation, notre chef, qui rappelons-le, dans la hiérarchie se situe à un niveau inférieur à la chef et à son adjointe, nous demanda de ranger le bureau. Les hommes du service sécurité et confidentialité effectuaient leur tournée d'inspection... Il devenait urgent de placer sans attendre l'ensemble des dossiers dans les armoires. La sécurité industrielle de la Boite en dépendait.

Jackson Five, notre chef, fit ensuite de nombreux allers et retours pour nous rapporter des dossiers ou des éléments de dossiers qui traînaient depuis des mois, voire des années, sur son bureau... Inutile de narrer longuement que nous fûmes particulièrement gracieux de ne pas lui mettre le nez dans son caca pour lui rappeler les recherches inutiles qu'elle nous faisait parfois entreprendre lorsque nous avions besoin d'un document "égaré sans doute par la hiérarchie"... Après la visite éclair, en fin d'après-midi, d'un aéropage constitué de trois inconnus aux airs sévères et sérieux et des plus hautes autorités du site, nous nous fîmes la réflexion suivante: de facto l'utilité du fameux service sécurité et confidentialité réside plus in situ en la peur qu'il suscite et les classements de documents qu'il provoque qu'à sa véritable mission, la sécurité des informations et des brevets...