Noir béton (Eric Miles Williamson)

un léger décalage...

Billet

« Je ne t'aime pas, et tu ne m'aimes pas. C'est comme ça qu'on fait du bon travail. Ne jamais aimer son patron. Quel qu'il soit, il faut haïr ce fils de pute. Un homme qui ne hait pas son patron ne vaut rien. Et un patron que ses hommes ne haïssent pas ne vaut rien. »

noirbeton.jpg Voici un roman, noir comme la sueur mêlée de poussière de ciment, rugueux comme le béton charrié par les hommes, sans concession comme les relations entre les membres de l'équipe, dangereux et exigeant, voire mortel comme les cadences infernales imposées par l'entreprise, et en marge de la société comme ces chantiers clandestins qui s'accommodent de la loi.

« Les grandes entreprises, dit Root, dépourvues de grands risques ne sont pas de grandes entreprises. Les jeux de hasard où rien n'est laissé au hasard sont des distractions de femmes, d'enfants et de sacs à merde. Tout acte de grandeur est marqué du sceau notarié d'une incertitude mortelle. Si vos vies n'étaient pas en danger, dans la mesure où vos talents de guniteurs sont, au mieux, négligeables, vous n'auriez rien de quoi être fier. Être certain de finir chaque jour intact et vivant, ce n'est rien de plus qu'être mort sans honneur. Et être mort sans honneur, c'est pire qu'être mort sans honneur. (…) Il n'y aura pas d'interférences des agents du syndicat, dit Root. Il n'y aura pas de surveillant. Il n'y aura plus de plaintes. Il n'y aura plus de désobéissance aux ordres catégoriques. Je sais que vous comprenez les gars. »

L'auteur narre le quotidien d'une équipe de guniteurs qui bâtit ou consolide divers structures et bâtiments à l'aide d'un canon qui propulse violemment le béton. Un travail pour des ouvriers, précarisés, surexploités et méprisés qui boivent, voire se droguent, pour supporter leurs conditions de travail.. Des travailleurs qui les jours de quartier libre trouvent quelque réconfort dans les substances précitées et dans les bras des femmes. Une vie d'esclave, pleine de solitude et sans grand espoir de changement ou d'amélioration.

Eric Miles Williamson, ancien ouvrier du bâtiment, a écrit là un roman qu'on ne quitte pas facilement. Un récit à la fois sobre dans ses descriptions, vif dans ses dialogues et poignant qui brosse le versant sombre du rêve américain et du néo-libéralisme triomphant. Une vraie réussite.