Ma guerre d'Espagne à moi (Mika Etchebehere)

un léger décalage...

Billet

« Il faudra un jour que tu écrives tes souvenirs, Marguerite. Tu as pris part aux événements les plus marquants des quarante dernières années. Tu as été une féministe active, militante pacifiste pendant la guerre de 14, tu as connu la Russie des années vingt, la IIIe Internationale, approché la grande équipe bolchevique. Tout cela mérite d’être écrit. »

Ma guerre d'Espagne à Moi est le témoignage bouleversant d'une femme. Elle et Pippo, son compagnon, ont dédié leur vie à la Révolution comme beaucoup en ce temps-là. Ils sont venus combattre dès les premiers jours de la guerre civile espagnole après avoir vu la gauche allemande, pourtante puissante, laisser Hitler prendre le pouvoir. C'est un récit poignant et amer, une tragédie amoureuse et politique. L'amour d'une femme pour son compagnon, la douleur de le perdre dès les premiers jours de combat alors qu'il commandait une colonne du POUM (le parti ouvrier d’unification marxiste), et le dévouement pour la révolution par fidélité à l'idéal qu'elle partageait avec lui.

« Que des Espagnols meurent dans cette guerre qui est la nôtre, je trouve ça normal, dit Mateo, mais que des étrangers comme ton mari, comme le Marseillais, comme toi-même viennent ici lutter pour nous, mourir pour notre cause, c’est une grande chose. Ecoute-moi bien, ne retourne pas au front, va-t’en chez toi et explique aux ouvriers que nous manquons d’armes, que nous n’avons rien, dis-leur de nous aider à gagner cette guerre... »

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Par son courage, ses conseils avisés, son sens de l’organisation et du détail, son autorité naturelle Mika Etchebehere devint la chef exemplaire d'une colonne du POUM. Ses miliciens et elle furent systématiquement envoyés au front à Sigüenza, Moncloa, Pineda de Húmera pour mener des combats désespérés et héroïques en raison de leur expérience et de leur bravoure face aux fascistes suréquipés malgré la pénurie d'armes et de munitions, les défaillances de l'intendance, ... et les coups de poignards dans le dos des staliniens.

« Ceux qui tiennent la queue de la poêle maintenant ce sont les communistes, grâce aux armes qui viennent d’Union soviétique. Et nous, qu’est-ce que nous sommes ? Quatre chats pelés qui ont mis le paquet dès le premier jour de la guerre civile. L’histoire ne dira pas que nous avons été à la caserne de la Montana ou que nous avons marché à la rencontre de la colonne de Mola qui se dirigeait, à ce qu’on disait, sur Madrid et que nous avions à l’avant du camion la mitrailleuse prise à la caserne de la Montana et vingt cartouches de fusil par tête. L’histoire ne dira rien de nous parce que nous sommes des trotskystes du POUM. (…) Que pour la poignée que nous sommes, nous avons eu plus de pertes que n’importe quelle unité communiste, personne ne le dira non plus parce que nous sommes les lépreux, les traîtres... »

Ce récit très vivant, avec des dialogues qui donnent le ton et l'état d'esprit des miliciens, dévoile les difficultés quotidiennes au front et "l'ambiance générale", le froid, la boue, les poux, l'épuisement physique, le moral des POUMistes, ces militants de tous âges, l'évolution du rapport des forces à l'intérieur même des forces révolutionnaires, la rancœur pour les pays dits démocratiques, l'amitié, la douleur, la mort qui rôde, et l'espoir malgré l'indéniable supériorité des forces franquistes.

« La cohésion révolutionnaire des débuts, réaffirmée dans les journées héroïques du siège de Madrid, se fissure de semaine en semaine. (…) Quelles conclusions tirer de ce bilan négatif ? Que nous allons perdre la guerre ? C’est probable, mais les travailleurs espagnols auront lavé la honte de la défaite des travailleurs allemands et inscrit dans les annales des luttes ouvrières les pages les plus fulgurantes de leur histoire. »

Mika Etchebehere évoque aussi sans détours ses rapports avec les hommes de sa colonne, pour la plupart machistes, qui la considéraient comme une sorte d'icône de combattante et d'infirmière, de chef et de mère dont ils étaient fiers, et sa volonté féministe de ne pas reproduire les vieux schémas de la société traditionnelle en ne réduisant pas les femmes aux tâches ménagères...

« Je n’ai que les pensées utiles à la guerre , les autres me sont défendues. Je ne dois pas lire car j’ai tout lu avec lui, ni regarder le ciel, ni aimer la montagne, ni me pencher sur une fleur, car tout cela appartient à notre vie à deux, à ces jours où il me disait : « Il faut que nous ménagions notre amour. (…) La politique avale toute notre vie, il ne faut pas qu’elle nous dévore...  »