Un peu tard dans la saison (J. Leroy)

un léger décalage...

Billet

« Avant, l'homme était un loup pour l'homme, maintenant, c'est une caméra. A moins de vous retrouver avec des amis très sûrs ou de confisquer tous les smartphones à l'entrée, comme dans les films sur la maffia où l'on fait déposer les flingues quand il y a une réunion de tous les capi, il est impossible de montrer ses fesses dans un instant d'ivresse sans que cela se retrouve sur You Tube dans la journée qui suit ou de clamer par provocation votre amour pour Staline à la troisième bouteille de bourgeuil. »

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Et si le monde capitaliste, néolibéral, libre-échangiste et numérisé s'effondrait de lui-même ? Dans cette société à la big brother, l'humain ressentirait un sentiment de ras-le-bol, de fatigue, pas vraiment de révolte, mais une sorte d'aquaboniste l'obligeant, un jour, à tout abandonner pour redonner un sens à sa vie. Tous les Hommes, quels que soient leur âge et leur statut social, démissionneraient à un moment ou à un autre.

« Je me souviens d'un film prophétique, Denise au téléphone, en 1995 ou 1996, par là. C'était un film américain sur les débuts du téléphone portable. De jeunes new-yorkais amoureux les uns des autres passaient leur temps à se téléphoner mais ne se voyaient jamais, comme autant de monades réduites à une carte SIM. La seule fois qu'ils parvenaient enfin à se voir réellement, c'était à la fin du film quand l'un d'entre eux mourait. Il fallait bien aller à l'enterrement. »

Un peu tard dans la saison est un roman d'anticipation, ancré dans le présent, où tout au moins dans un présent tellement proche que le récit est plausible, et peut-être prophétique... Le narrateur est double, un écrivain quinquagénaire presque maudit, voire désabusé, qui ressemble étrangement à l'auteur et une fliquette des services spéciaux qui voient le monde de manière sensiblement proche malgré leurs différences.

« Les réseaux sociaux ont réussi ce que n'avaient jamais imaginé dans leurs rêves les plus fous les polices politiques de tous les régimes : des gens qui se fichent eux-mêmes. La réussite est totale, c'est l'humanité elle-même qui devient une police politique autogérée. »

Dans cet excellent roman, Jérôme Leroy dévoile beaucoup de lui-même, il s'offre le luxe de l'autobiographie romancée et enjolivée, mais cela fait partie du genre, n'est-on jamais aussi bien servi que par soi-même ? Surtout, l'air de rien, il délivre un réjouissant message politique, anticonformiste et anticapitaliste, voire communiste et libertaire avec sa plume inimitable.
A lire...

« On serait en territoire connu si c'était un mot d'ordre lancé par un responsable politique, ou une école de philosophie, ou je ne sais quel groupuscule autonome ou survivaliste. Une mode, quoi... Mais non. C'est informel, ça se déclare chez n'importe qui. C'est le cadre qui abandonne son travail alors qu'il est en pleine ascension, c'est le prof qui ne prend plus ses élèves dans la cour un beau matin, la mère de famille... »

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