élite bureaucratique

un léger décalage...

Billet

Pour la 2ème fois, en moins de 15 jours, la superbe Frétillou venait de se faire rappeler à l’ordre. Qu’il était loin le temps où elle allait déjeuner à l’extérieur avec les chefs. Il fallait la voir revenir satisfaite et l’entendre nous décrire tous les détails du resto, du repas, et le haut niveau intellectuel de la discussion... Normal que cette précieuse collaboratrice, ce génie du secrétariat fréquente l‘élite ! Tardive reconnaissance qu’elle savourait enfin sans retenue. Inutile d’ajouter qu’on se retenait de l'indisposer en ne lui contant pas notre « mal-bouffe » de la cantoche. C’était déjà beaucoup, voire insupportable, de lui imposer nos tronches pendant les heures de travail. Comprenez cher(e)s ami(e)s qu’elle n’allait pas non plus se sustenter en compagnie de pauvres tâcherons, incapables et bêtes. C'eut été le comble de la goujaterie!

En cette période fastueuse, elle ne se privait pas pour exécuter des tâches autres que les siennes. Elle abandonna, à monsieur Cotte et à votre humble serviteur, les dossiers qui ne l’intéressaient pas. Grâce à un intense travail de lobbying auprès du chef, conjugué aux conseils éclairés de son amant, nous assistâmes à une redistribution rampante et officieuse des attributions. Nous fûmes dessaisis de certains travaux et on ne crut pas utile de nous informer de certaines réunions. Faits divers et accomplis! On l'apprenait en admirant Frétillou suer, sang et eau, pour pondre le compte-rendu d'une réunion, sprinter entre notre bureau et celui de l’adjoint pour recueillir son avis, avant d'imprimer la version définitive et la mettre dans le parapheur. Il lui fallait au minimum une semaine, consacrée exclusivement à cette rédaction, format A4 recto-verso. Quelle conscience professionnelle !

C’était l’époque où elle préparait avec amour et désintéressement le café de son chéri, omettant de demander si l'on souhaitait en boire, lui portait et revenait deux heures plus tard. Il est vrai que certaines ne l'aiment pas chaude, leur boisson... C’était l’indispensable Frétillou, celle dont les rires assourdissaient tout l’étage, et malheur à celles et ceux qui laissaient les portes ouvertes ! Celle qui prenait des congés la mort dans l’âme et qui passait des heures à nous raconter ses vacances, en nous imposant les indispensables séances photos ! Frétillou en maillot 2 pièces, Frétillou à la plage, Frétillou au bal… Ensuite, nous avions droit généralement à l’éternel refrain « moi moi moi je je je » où elle s’épanchait sur sa dure vie, la brouille avec sa plus proche famille, ses amies qui ne l’appelaient plus, et son mari qui l’avait quittée pour une salope. Nous avons omis de préciser que son vocabulaire a souvent été qualifié de "fleuri". Que de fois serinée, cette petite chanson de la victime où l’épilogue ressemble à une happy end triomphale de self made woman ? Une leçon de vie ! Un exemple de courage et de bon sens moral !

Mais aujourd'hui, pas du tout happy la Frétillou. Happée par un tourbillon incontrôlable, la statue de la Commandeuse vacillait. Elle généralisa la guerre froide à tout le bureau. Mes collègues goûtaient enfin au mur du silence : à chacun son mur selon ses moyens! Quand elle sortit de son entretien, elle resta stoïque et muette, droite dans ses bottines. Blème, verte, elle ressemblait à un zombi. Nous faillimes avoir un geste en sa direction, mais des mois à endurer ses sautes d'humeurs, gamineries, caprices et divers coups tordus nous l'empêchèrent.

Surtout Line, notre future retraitée. Par un long et patient travail de sape, de dénigrement, d'affabulation, de manipulation que l'on pourrait, sans doute, qualifier de harcèlement moral, Fétillou parvint à décider notre chef. Il refusa la promotion qu'elle méritait. Une décision qui aura des conséquences sur le montant de la future pension de retraite de Line. Alors à quoi pensait-elle, en regardant son écran fixement ? Sûrement à inventer un nouveau couplet à sa chansonnette... qu'elle entonnera bientôt à la moindre occasion...