la fin des illusions bureaucratiques

un léger décalage...

Billet

cb23.JPG Après un long mois de silence, les chroniques bureaucratiques sont de retour. En cliquant sur l'image, ci-dessous, vous accéderez au 23ème épisode... Ces chroniques sont un mélange de "Lost", "Les experts", "Dallas", "Sin city" et Desperate Housewives" ! En plus, elles ne s'arrêtent jamais !

De retour après le dernier week-end de juin, j'apprenais incidemment que Démerdou avait profité de mon absence du début de semaine pour demander son mois de juillet. Regardant le planning, je constatais que nous ne serions que deux dans le service d'une part, et que je deviendrai le « chef », d'autre part. La perspective de travailler en direct avec le big boss ne m'enthousiasmait guère. J'ai failli me plaindre ouvertement. Démerdou m'avait fait ce coup tordu dans mon dos mais sa demande était officiellement signée, alors, pourquoi se battre inutilement? D'autant plus que ce dernier mois de travail se déroulerait avec la garantie de ne plus la supporter, ce qui m'était agréable, même si je devrais certainement plonger mon nez dans des dossiers réservés, accomplir des tâches inhabituelles et pratiquer des horaires à rallonge.

En début d'après-midi, une certaine ébullition régnait. A quelques minutes du début de la réunion, « comment demeurer compétitif en situation de pandémie grippale ? - développer des synergies de conquète de marchés et créer un management performant de crise grâce à la bonne gouvernance », longuement préparée par ma collègue, monsieur Cotte demanda si elle souhaitait qu'il distribue les dossiers aux intervenants. Démerdou réalisa subitement qu'elle avait complètement omis de préparer un exemplaire pour chaque invité. Par conséquent, tout le service fut mis à contribution : photocopier chaque note en cinquante exemplaires, trouver un nombre suffisant de sous-chemises de couleurs différentes, les plier, préparer et coller des étiquettes, agrafer et glisser les feuiles au bon endroit, mettre le tout dans des chemisettes en plastique gris, avec poignée noire intégrée! Finalement, Démerdou distribua toute cette documentation à la fin de la réunion, à mesure que la salle se vidait. Si ce travail imprévu et urgent fut réalisé en un laps de temps record, et dans la bonne humeur, tout le monde semblait ensuite lui en vouloir: « Je vous le dis, au lieu de prendre ses grands airs, de faire de la lèche, elle ferait mieux de se contenter de son job », lâcha notre secrétaire.

_Que voulez-vous c'est le métier qui rentre pas à pas, rétorqua monsieur Cotte.

_Oui des pas infiniment petits... glissa-t'elle.

Le jeudi matin, Démerdou écoutait le magnétophone pour peaufiner son compte-rendu de réunion. Elle m'avoua, non pas qu'elle regrettait sa bévue de la veille, mais son rôle de factotum. Elle estimait avoir perdu toute sa crédibilité auprès de ses correspondants en distribuant les valisettes... J'essayais de la rassurer un peu... L'après-midi, l'informaticien lui changea rapidement son imprimante. Je la vis ensuite manipuler le nouvel engin, le soulever, marmonner dans son coin, lever parfois les bras au ciel, et taper du poing. Cette petite crise s'acheva dans les jurons et les larmes. Le calme revenu, j'appris que le bruit de l'imprimante l'insupportait. Finalement, nous constatâmes au bout de vingt minutes, qu'il s'agissait seulement du moteur qui se réchauffait à l'allumage, comme un bon vieux diesel !

Le vendredi midi, j'organisais un pot pour fêter à l'avance mon départ du service prévu à mon retour de vacances. Chacun y alla de son petit couplet touchant, de son petit cadeau, vida quelques coupes de champagne et égloutit quelques petits fours... L'après-midi ne fut guère intense : ma collègue surfait sur des sites de voyages à prix cassés, monsieur Cotte mettait de l'ordre dans ses dossiers, la secrétaire faisait du classement vertical, et mon chef me transmettait le témoin pour assurer la continuité en vue du prochain mois..

Le lundi matin, en revenant d'une entrevue avec le big boss, Démerdou m'appelait pour m'informer qu'elle me transmettait son compte-rendu par mail. Cela tombait à pic, on me demandait en haut lieu ce document, ainsi que son projet de plan contre la pandémie grippale. Je passais une heure à le remodeler et à enlever redondances et pléonasmes. Le plus délicat s'avéra la recherche du plan : un remake de la chasse au trésor ! Elle m'avait bien dit le nom du fichier sur le serveur, mais en l'ouvrant, je découvrais une dizaine de sous-dossiers, dans lesquels on retrouvait encore des sous-sous-sous-sous-dossiers de sous-sous-sous-dossiers : un vrai binz ! Je me battais contre le syndrome des poupées russes. Je remarquais un nombre élevé de documents quasiment identiques, et compris qu'à chaque fois qu'elle modifiait un document, même de façon anecdotique, sur la forme, une virgule ou deux, elle préférait le renommer différemment, ce qui entraînait une inflation exponentielle, et créait de facto un nombre incroyable de fichiers. Je consacrais le reste de la matinée et une bonne partie de l'après-midi à le chercher. Quelle ne fut pas ma joie quand je l'imprimais... Avant de le donner à brocher à mon collègue, je feuilletais par curiosité et souci de m'informer les premiers feuillets. Je découvris qu'elle s'était contentée de pomper un vieux document qui n'avait aucun rapport avec l'objet, et de changer seulement l'année et l'intitulé figurant sur la page de garde. Je le passais à monsieur Cotte qui revint deux minutes plus tard : « Qu'est-ce-que c'est ce truc, ça n'a rien à voir avec la grippe aviaire !

_C'est pourtant son plan contre la pandémie grippale, car je n'ai pas trouvé autre chose .

_C'est nul, elle n'a fait que ça, c'est la meilleure ! .

_En tout cas, je ne peux pas donner ça au big boss, je vais juste lui dire que notre chère collègue souhaite finaliser son plan .

_C'est mieux pour elle, mais on se demande quand même ce qu'elle fait de ses journées...

_Mystère. Du vent... »

Finalement, le mois de juillet fut chargé mais positif au final, puisque nous parvînmes à résoudre bien des questions, si j'en crois nos impressions et celles du big boss qui, à la fin de son petit speech, me souhaita de bonnes vacances et une bonne intégration à mon nouveau poste. En quittant, les murs de La Défense et de la tour infernale, je me félicitais de ne plus bosser dans un service en sous-effectif chronique, en compagnie d'un tel phénomème. Je ne savais pas encore ce que je découvrirais après mes congés, mais la perspective de travailler à Paris intramuros, à quelques minutes de mon appart, m'était très favorable.