La Poste et la précarité sociale grandit...

un léger décalage...

Billet

precarite.poste.JPGA l'occasion d'une rencontre à l’ANPE, un pote de fac m'a conseillé de tenter ma chance à la Poste. Comme lui, je me suis dit que ce serait un job provisoire, en attendant d'en trouver un autre qui corresponde peu ou prou à mon niveau d'études. Deux jours plus tard, j'étais embauché : “ Revenez lundi à 8 heures, vous aurez trois jours de formation ”.

Je ne savais pas que je resterais plus de trois ans dans cet hangar en tôle, grand comme un stade de foot. Dans ce centre de tri provincial, situé à proximité de l’aéroport, travaillaient près de 300 personnes affectées à des tâches d’exécution. Mes collègues étaient des fonctionnaires et des contractuels. Les premiers, après la réussite à un concours externe ou à un examen professionnel interne (possibilité offerte aux contractuels jusqu'au milieu des années 80), ont tous passé une dizaine d'années à Paris, avant de revenir dans leur région. Les contractuels représentaient environ 10 % de l’effectifs.

L’organisation d’un centre de tri était assez complexe et se traduisait par un nombre important de tâches relativement simples:

_travail de manutention : vider ou remplir des camions, des ambulants (train postal), des containers – porter, tirer, accrocher, ouvrir et ventiler les sacs de courrier et de paquets, porter les caissettes.

_travail de tri devant un casier: debout pour les gros plis, possibilité de station assise pour les petits plis, ou suivi dela trieuse automatique, longue d'une vingtaine de mètres, pour retirer les paquets de lettres qui s'empilaient dans les casiers et les déposer sur le tapis roulant.

Tous ces postes de travail étaient physiquement éprouvants, d’autant plus qu’il fallait maintenir la cadence pour réaliser les différents bouclages dans les délais impartis : le train, l’avion et les camions desservant leurs prochaines étapes n’attendant pas…

Le centre travaillait 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, avec une petite relâche du dimanche matin au soir jusqu’à 20 heures. Il y avait donc deux équipes de nuit C et D (de 19h30 à 5h45), deux équipes de jour A et B (de 5h45 à 12h 30 et alternativement de 12 h30 à 19h30), et la mondaine de 17 à 24 heures qui se relayaient. Chaque agent titulaire était membre d'une seule équipe et bénéficiait d'un rythme régulier de travail: les contractuels, eux, ne bénéficiaient pas de ce droit. La Poste considérait les contractuels comme des intérimaires. Une main d'oeuvre utile et flexible pour remplacer les titulaires et faire face aux coups de feu. Le centre de tri possédait un “ volant ” de remplacement d’une trentaine de contractuels.

Le RH avoua, lors d'une entrevue syndicale, son souhait d'externaliser ce type de recrutements en s'attachant les services d'une boite d’intérim. Mais, hélas pour ce brave homme, notre travail qui exigeait un certain niveau de connaissances professionnelles à tous les postes ne s’acquérait pas en deux ou trois heures... Sauf exception notable (création d’un nouveau poste ou d’une nouvelle organisation), notre présence se justifiait officiellement pour remplacer “ au pied levé ” un fonctionnaire absent. Officieusement, c'était autant de postes de titulaires en moins, et une économie substantielle aussi bien budgétaire que managériale.

Je préférais bosser la nuit pour des questions d’ambiance (plus chaleureuse) et pécuniaires (prime de nuit). Mais, quelle que soit notre ancienneté, nous n’avions aucune certitude quant à notre emploi du temps professionnel puisque les appels de dernière minute étaient la norme. A toute heure du jour ou de la nuit, le RH ou le chef d'équipe appelait au téléphone: “ Salut X, M. Bidule est malade, tu peux venir ? Bien souvent, il fallait venir dans l’heure… Nous avions bien entendu la « liberté » de refuser, mais l'exercer revenait à s’exposer à des représailles :

_soit ne pas être appelé pendant une longue période, ce qui signifiait percevoir un salaire minable à la fin du mois ;

_soit suivre un rythme de travail de galérien, par exemple, en enchaînant 3 nuits de suite, puis une mondaine, suivie d’une vacation l’après-midi et enfin d’une autre le matin : et bis repetita la semaine suivante…).

Généralement, à défaut d’aimer son travail et l'entreprise, l’un de ces deux traitements de faveur permettait au contractuel de mieux cerner le sens des priorités. Même si nous n’hésitions pas à nous exprimer collectivement et malgré la solidarité de nos collègues fonctionnaires, nous représentions exclusivement une main d’œuvre malléable et corvéable à merci.

La boite avait tenté de diviser les contractuels en deux camps : les C.D.I.I. et les C.D.D. Elle accorda généreusement à ses plus anciens contractuels (certains avaient plus de 15 ans d’ancienneté) un contrat à durée indéterminée intermittent (C.D.I.I.) de près de 1600 heures par an, payés au SMIC. Ces contrats lui permettaient de mieux fidéliser cette force de travail très flexible. Dans les centres où les contractuels étaient isolés ou désorganisés, l'entreprise proposait généreusement des C.D.I.I. de 800 heures par an, qui condamnaient leurs bénéficiaires à être disponibles toute l’année pour une rémunération équivalente à un RMI. Pour les CDD, le contrat d’engagement allait d’une durée allant d’un jour à plusieurs semaines (pour les mieux lotis)…

En fait, la condition de contractuel signifiait précarité sociale à plus d'un titre :

_incertitude devant l’avenir: aucune assurance quant à la pérennité de l’emploi ;

_rythmes de travail irréguliers : à la différence des personnels titulaires, les contractuels n’appartenaient pas à une équipe de jour, de nuit ou à la mondaine ;

_irrégularité des revenus pour les CDD : suivant l'activité de l'entreprise et les aléas naturels (fonctionnaires en congés maladie).

_disponibilité obligatoire : ce qui revenait à être au service de l'entreprise même les jours chômés.

En matière de conditions de vie et de travail, La Poste a montré le mauvais exemple. Après les lois Quilès, le recrutement des contractuels devint privilégié au détriment du concours. Cette politique lui permit d’expérimenter de nouvelles formes d'organisations de travail au sein des bureaux traditionnels et de créer de nouveaux centres grâce à cette population de travailleurs précaires. Début 2000, en quittant La Poste, après près dix ans de bons et loyaux services, comme contractuel puis titulaire, la proportion des personnels contractuels était en constante progression, au point de dépasser celle des fonctionnaires.

Aujourd’hui, cette entreprise publique n’organise plus de concours et encourage ses agents titulaires à la quitter. Les principales restructurations ont d’ores et déjà eu lieu. La Poste a scindé son activité en trois branches : courrier, colis et banque. Il ne serait pas étonnant que la plus rentable des trois soit privatisée, au nom de la sacro-sainte concurrence prêchée par la divine église néo-libérale qui siège à Bruxelles.

Il ne s'agit pas ici de tomber dans le passéisme ou de blâmer les dirigeants La Poste, serviles aux gouvernements successifs, mais de proposer le bilan de cette politique :

_le service public postal s'est dégradé avec une concurrence qui pousse La Poste à favoriser la rentabilité, en privilégiant le service auprès des entreprises au détriment des particuliers.

_la précarité s'est peu-à-peu généralisée au personnel fonctionnaire (mutations et restructurations fréquentes de l'organisation du travail, postes imposés, difficultés à reconnaître les accidents du travail, contre-visite médicale systématique dans certains bureaux, pressions diverses pour accepter des horaires atypiques, etc).

L'Union européenne pouvait privilégier la coopération de l'ensemble des services publics des pays qui la composent. Mais, avec le soutien des gouvernements de droite comme de gauche, elle a imposé la concurrence dans tous les secteurs d'activité de la société. Avec le bilan suivant : la généralisation de la précarité sociale.

Commentaires

1. Le samedi 24 novembre 2007, 12:27 par Jean-Michel

Le problème ne vient il plutôt pas des syndicats qui bloquent les changements utilises d'une entreprise comme La Poste ? On le voit bien avec les cheminots, 500.000 fonctionnaires bloquent le pays pour des raisons corporatistes.

Le gros problème de La Poste, c'est qu'elle n'a jamais voulu se remettre en question et que maintenant on en paye le prix fort. Comme toutes les entreprises nationales (EDF, GDF, France Telecom, SNCF, ADP, La poste), il y a eu des carêmes d'instaurer complètement foireux. Et puis leurs concours d'entrée, c'est quand même la loose.

Et moi je trouve normal qu'une entreprise comme La Poste est des objectifs à atteindre. En plus vu qu'elle a un monopole, on a pas le choix en tant que particulier que de passer par eux.

2. Le samedi 24 novembre 2007, 15:42 par pas perdus

La question est de savoir ce que l'on veut. Un Etat gendarme réduit à sa plus simple expression où les citoyens doivent payer au prix fort les services? Ou un Etat dans lequel les citoyens ont la possiblité de disposer de services publics (école, santé, tranports, moyens de communication) à prix réduits ou gratuits ?

Jeter l'anathème sur les syndicats relève du fantasme. Les syndicats, même s'ils sont beaucoup plus représentatifs que n'importe quel parti politique (participation aux scrutins professionnels ou nombre d'adhérents plus élevés) n'ont pas autant de pouvoir que vous le laissez entendre.

Pour avoir travaillé à La Poste, je peux vous dire que les syndicats ne sont jamais arrivés à bloquer telle ou telle mesure de la Direction. Allez dans n'importe quel bureau de distribution, d'acheminement, ou de guichet : La Poste s'est modernisée.

Citer en exemple les entreprises de service public pour désigner le mauvais élève de la classe est caricatural. Elles ont également des objectifs à atteindre. Allez dans un centre de tri, vous verrez. Pendant des décennies, les excédents de La Poste ont permis de combler une partie du déficit budgétaire de l'Etat. On parle du déficit de la SNCF : elle doit entretenir son réseau, remplir ses missions de service public alors que les transporteurs routiers n'ont juste qu'à payer le carburant et le personnel... mais pas l'entretien du réseau...

Avoir des services publics efficaces est légitime. Surveiller comment l'argent du contribuable est dépensé, également. Mais, un service public ne sera jamais une entreprise privée. La rentabilité à tout prix avec flux tendus, on voit ce que ça donne à l'hôpital...

Vous parlez du monopole. Je le préfère en certains domaines à une concurrence faussée. Regardez dans les télécommunications : forfaits pour les portables, internet quasi identiques...Les entreprises s'entendent et font régner leur loi. Je ne suis pas certain qu'en gardant le monopole public dans ce secteur, les citoyens seraient plus mal lotis qu'aujourd'hui. Ce que je sais par contre, c'est que ce changement dans ce secteur a conduit en Europe à plus de précarité.

Point la peine d'évoquer la SNCF quand on connait le succès de la privatisation aux USA ou en Angleterre. Pour La Poste, je sais que les particuliers, les plus modestes, seront les plus mal servis, surtout ceux qui n'habitent pas dans de grandes villes. Vous pouvez passer par UPS, DHL, et d'autres distributeurs, mais le prix ne sera pas le même et le service pas obligatoirement meilleur...

Un service public qui disparait signifie moins de solidarité.

Parler de corporatisme est la tarte à la crème qu'on balance à ceux qui contestent les réformes néo-libérales. cela fait 20 ans qu'on subit le néo-libéralisme, avec privatisations, allègements des charges, baisses des impôts directs à la clé, et je n'ai pas l'impression que tout cela soit synonyme de progrès social.

On peut critiquer les cheminots. Mais critiquons aussi ces réformes qui nivellent par le bas. Et quand une catégorie de travaileurs voit son niveau de vie baisser, il y a fort à parier que les autres suivront. Attendez, la prochaine réforme des retraites... On n'en a pas fini.