Carte de fidélité (Sylvain Rossignol)

un léger décalage...

Billet

«L'enseigne vole mon temps, déstructure le peu qu'elle me laisse par des horaires à la con. Elle me vole le vent, m'impose ses courants d'air, me prive du soleil et déverse sa blancheur syncopée. L'enseigne me vole mon temps, me robotise. Et elle veut me prendre ma pensée.»

Sylvain Rossignol immerge le lecteur dans l'univers du supermarché, son décor standardisé de pacotille, complètement banalisé pour inciter les consommateurs à dépenser...

Le roman se déroule à un moment clé quand la direction du supermarché décide d'ouvrir le dimanche jour de noël : la rébellion gronde, la grève menace, la parole se libère...

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Un monde particulier avec ses salariés, ses caissières, ses vigiles, ses chefs de rayons, ses cadres, son patron et la grande direction de l'enseigne :

«Et moi, je fais quoi ? je reste. Parce que j'ai trop investi dans cette caisse pour ne pas être payé de retour. Mais la caissière téléphone, demande du renfort, ça se gâte, ça bloque.»

Toutes ces personnes se croisent, s'ignorent, se parlent, s'observent... Aussi l'auteur a-t-il choisi de donner la parole aux uns et aux autres :

«L'enseigne vole mon temps, déstructure le peu qu'elle me laisse par des horaires à la con. elle me vole le vent, m'impose ses courants d'air, me prive du soleil et déverse sa blancheur syncopée. L'enseigne me vole mon temps, me robotise. Et elle veut me prendre ma pensée.»

Un monde du travail, particulièrement dur, où certains salariés, en l'occurrence les caissières, subissent les horaires partiels et fragmentés, le flicage et les pressions :

«Je sais que l'esclave soudainement affranchi ne doit pas se sentir l'allié du maitre qui a remplacé la pitance et te tient plus sûrement par la faim au ventre que par les coups. Je le sais et c'est à ce seul prix que je garde quelque considération de moi-même. je ne suis pas en paix avec cette vie sans vie. Et je ne dois jamais le devenir. Pour qu'un jour, peut-être, la révolte montre en moi et me submerge.»

Des personnages attachants...

«Les cadeaux de Noël sont un impôt pour les pauvres. Les gens démunis d'argent sont le plus souvent les gens démunis de mots, mais pas d'amour. (...) Ils attendent Noël pour que les consoles consolent, pour que le sapin appelle la chance comme le nom américain de leurs enfants appelle la gloire, pour que la nourriture en excès fasse taire le temps des privations.»

Plus profonds qu'il n'y parait au 1er abord :

«Le bonheur, c'est essayer d'être heureux; le malheur c'est d'y renoncer. Je bénis la grève de me rappeler que la vie est ailleurs et qu'elle existe pour moi, et que j'existe pour elle.»

Un roman très bien écrit avec une intrigue passionnante, digne d'un thriller.

Commentaires

1. Le jeudi 9 décembre 2010, 07:42 par patrick

j'aime bien" les cadeaux, un impôt sur les pauvres" en même temps c'est difficile de s'affranchir des lumières et des illusions de bonheur quand du bonheur, croit-on, on n'en a déjà pas, qu'on a faim. Le mirage de la consommation, faut être rudement musclé pour s'en détourner et c'est vrai mieux vaut un ordinateur pour s'exprimer ici que rien du tout, sans quoi ce commentaire ci n'existerait même pas mais au fond, hein, qui s'en plaindrait?

2. Le jeudi 9 décembre 2010, 08:48 par des pas perdus

Nos billets et commentaires sont tout à la fois importants et insignifiants...