A la vie ! (Joseph Bialot)

un léger décalage...

Billet

« Sa mort, revécue par le cauchemar, le laissait sans force. Comme chaque nuit depuis la Commune, il restait allongé, silencieux, les tripes nouées, redevenu l'enfant qui, de sa tombe, fixait le ciel au-dessus du Père-Lachaise. »

A la vie est une formidable saga romanesque qui court de 1913 à 1948, celle d'une famille de prolétaires, les Mongeon dont le doyen, Benoît, artisan imprimeur bellevillois a été de toutes les luttes ouvrières depuis la Commune, compagnon de Jaurès et de Lénine, qui sera fauché par la mort lors d'une manifestation communiste à quelques mois du Front populaire.

« L’État français devance les desiderata de l'occupant et se répète tous les jours qu'il est vaincu et qu'il faut payer. Payer quoi? Pourquoi ? Tu te rends compte ? Pétain est le seul chef d'un Etat légal, en Europe occupée, à posséder des forces considérables qui lui permettraient, tout au moins dans l'immédiat de tenir tête et de négocier. Hitler marche à l'économie, il cède temporairement lorsqu'il faut. Pense à Munich. Or Vichy ne tend jamais l'autre joue, il offre tout sur un tableau sans qu'on lui demande. »

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Avec son art inimitable de conteur, Joseph Bialot [1] fait revivre le Montparnasse de Modigliani, l'ébullition artistique, les érudits d'art et le Paris des ouvriers, des artisans, des immigrés pendant le Front populaire, la guerre d'Espagne, les procès de Moscou et surtout la montée du fascisme en Europe, puis l'Occupation.

« En fait, Gurs est un mouroir à ciel ouvert. Les sévices sont interdits, mais malheur à toi si tu as affaire aux gardes. Ça se passe de nuit, entre deux baraques, officieusement. Et on recense les cadavres au petit matin comme décédés de mort naturelle. »

La passion, l'amour, la haine, la mort et l'espoir s’entremêlent à la politique avec des personnages attachants et complexes, Augustin le fils fusillé pour l'exemple en 1917, sa veuve Hortense qui lutte aux côtés de Benoît le patriarche, David le peintre, juif polonais qui déserte la Révolution trahie, Pascal le petit-fils résistant, Étienne le cadet mal aimé qui devient milicien, Marc l'immigré juif soldat des forces françaises libres, Marie la modèle...

« Ce gouvernement n'est que l'héritier des Versaillais, pas autre chose. La bourgeoisie issue du XIXème siècle n'a rien compris, ni tiré la moindre leçon des ignobles boucheries de 14. Elle a commémoré, c'est tout ce qu'elle a su faire. Les bourgeois ont succombé sous leur graisse, sous la charge des trésors amassés, ces trésors de la colonisation et de l'exploitation ouvrière. Leur rêve est de démolir la révolution prolétarienne, sans comprendre que ce sont eux qui sont les responsables de cette révolution. Le fascisme est leur dernier espoir et le nazisme leur espoir suprême. »

A l'heure où le relativisme historique et la confusion des idées font rage dans les médias à la fois pour discréditer la gauche, celle qui ne se soumet pas à l'idéologie néolibérale et à l'atlantisme, et pour légitimer le Front national, je ne peux que recommander la lecture de ce passionnant roman qui rend hommage, à travers ses personnages, au mouvement ouvrier.

« A la mi-juillet, Vichy-l’État déclara la guerre aux femmes et aux enfants juifs. La nouvelle ligne Maginot était à Belleville, village parisien étalé sur quatre arrondissements. On allait enfin voir ce qu'on allait voir. Mouflets, gamins, poulbots, gavroches de tous les pays, fils de métèques, graines de délinquants, obligatoirement délinquants, filles d'immigrés, putains en puissance, forcément putes... »

Un bouquin que devraient lire les Barbier, Plantu, Quatremer, Apathie et autres éditocrates du même acabit...

Note

[1] sur le blog, deux autres lectures de Joseph Bialot : Babel-ville - Votre fumée montera vers le ciel