Le bel avenir de l'Etat-providence (Eloi Laurent)

un léger décalage...

Billet

« Les exigences que l’on oppose à la protection sociale respirent le sérieux économique : « compétitivité », « attractivité »... Mais sait-on que personne, dans la communauté académique, n’est capable d’en donner une définition précise ou d’en proposer une mesure qui tienne la route ? La fraude colossale encouragée par un système social dispendieux fait des ravages, on le sait. On ne sait rien de tel : les fraudeurs qui empêchent de dormir les moralistes économiques sont, en France, quantité négligeable. Ils coûtent 0,1 % de son budget à l’assurance chômage, dix fois moins à la branche famille, cent fois moins aux branches retraite et maladie. Quant à l’immorale dette sociale que nous accumulerions sur le dos de nos enfants, elle ne raconte, comme la dette publique, que la moitié de l’histoire : pour prix du passif des régimes sociaux, au demeurant très sensibles à la conjoncture, nous gagnons la sécurité économique et le progrès social, rien que cela. »

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Le bel avenir de l'Etat-providence est un livre qui va à rebours des idées dominantes. Son auteur n'est ni un bolchevik, ni un khmer vert, pour reprendre la terminologie en vogue de la novlangue, mais un social-démocrate traditionnel conscient de l'importance de la question écologique. Son approche de l'écologie n'est ni morale, ni culpabilisante mais politique et sociale. Même s'il ne va pas jusqu'à prôner l'écosocialisme, son analyse est intéressante à plus d'un titre, notamment pour comprendre les enjeux que recouvrent l'écologie et la nécessité de rompre avec le modèle économique actuel et le moins-disant social.

« La crise de la finance folle, qui a commencé sur le marché immobilier américain au printemps 2007, aboutit au printemps 2014 en Europe à un retournement complet des horizons : pris au piège de leurs règles budgétaires dogmatiques, les Etats du Vieux Continent offrent à des marchés financiers rongés par le court terme le sacrifice de leur bien le plus précieux - le patrimoine de solidarité de leurs citoyens - en échange d'une illusoire clémence. Les logiques de démantèlement et de discrimination sont déjà ainsi à l’œuvre en Europe, de manière brutale (...), sournoise (...), ou subreptice (comme la privatisation progressive du système de santé en France, mité par les régimes complémentaires). »

Dans un premier temps, Eloi Laurent démonte le discours dominant. Il démontre avec brio, arguments à l'appui, que non seulement le social ne représente pas un handicap pour l'économie, mais qu'au contraire, il est un élément indispensable au développement économique. D'ailleurs, il évoque ce paradoxe où les pays émergents les plus avancés commencent à poser les bases de leur Etat-providence pour poursuivre leur développement économique tandis que les pays occidentaux, eux, commettent l'erreur de le démanteler.

« les fameuses «rigidités structurelles» dont la protection sociale est censée être coupable ne pèsent presque rien dans la montée du chômage de masse comparées aux erreurs de politique économique de 1993 et 2009. Dans une littérature académique pourtant bien fournie sur le sujet, nulle part n'est démontré sérieusement le moindre lien probant entre le niveau des cotisations sociales et le niveau de chômage, autrement dit entre la taille de l'Etat-providence et le sous-emploi. Reste une critique fondée contre l'Etat-providence français : le défaut d'investissement dans l'éducation et la formation, qui appelle... davantage d'Etat-providence, et non pas moins ! »

Dans un second temps, l'auteur fait le constat d'un monde où surviennent des catastrophes écologiques fréquentes dont l'impact ne cesse de croître en termes de coûts social et économique. En l'occurrence, des choix politiques ont été pris en ignorant ou en sous-évaluant la question écologique et la question sociale. Pour ainsi dire, les catastrophes écologiques ne sont pas naturelles ! Il en résulte un surcoût en raison de la vision à court terme des décideurs...

« Il nous faut donc intégrer les enjeux écologiques et sociaux en nous tenant à égale distance du catastrophisme abstrait et généralisé (démenti par les faits, notamment en ce qui concerne la surpopulation) et de l'inconscience matérialiste (...) La relation social-écologique est à double sens : les inégalités sociales nourrissent les crises écologiques; les crises écologiques grossissent en retour les inégalités sociales. (...) . »

Les inégalités de revenus et de pouvoir contribuent aux déséquilibres écologiques. Elles induisent des comportements individuels et des logiques économiques qui favorisent le gaspillage des ressources naturelles, la pollution, les catastrophes écologiques, et in fine des conséquences écologiques, sociales, sanitaires et économiques qui appauvrissent la société.

Par conséquent, une politique écologique digne de ce nom suppose avant tout une politique sociale qui s'attaque en priorité aux inégalités. Aussi, Eloi Laurent développe ensuite le concept d'Etat social-écologique.

« Comme l'Etat-providence, l'Etat social-écologique doit assumer une fonction d'allocation, de redistribution et de stabilisation dans le but de couvrir les divers risques social-écologiques. Comme l'Etat-providence, il pallie en cela les défaillances du marché. »

Faire confiance à l'initiative privée et au marché ou se contenter de taxer, comme c'est le cas actuellement, est synonyme de politique écologique à la fois injuste socialement et impopulaire (taxe carbone, portiques des bonnets rouges), et surtout inefficace pour préserver l'environnement et lutter contre la pollution. L'Etat social-écologique devrait reposer sur un nouveau contrat social fondé sur le présent et l'avenir qui relie les générations entre elles aussi bien au plan social, (par exemple, le système des retraites par répartition) qu'au plan écologique pour baisser les niveaux de pollution et préserver les ressources naturelles.

L'auteur évoque une nouvelle fiscalité prenant en compte les inégalités de revenus et d'exposition aux risques écologiques, la création de nouveaux indicateurs pour l'action publique, le développement de la sécurité sociale pour couvrir les risques écologiques, ou la redéfinition des politiques publiques. Puis, il analyse l'évolution des territoires, le développement de l'urbanisation et l'étalement des villes sous le prisme du social et de l'écologie, et dégage quelques pistes aux niveau local et national pour réduire les inégalités.

« Une étude récente a mis empiriquement en lumière l'importance du phénomène de précarité énergétique du fait de la mobilité. Les auteurs démontrent ainsi le lien, intuitif, entre taux d'effort énergétique du fait de la mobilité et la localisation résidentielle, mais démontrent également, à partir de l'exemple de la ville de Lyon, que ce sont plutôt les habitants de la deuxième couronne, dépourvus de transports collectifs, contrairement à ceux de la première couronne, qui souffrent le plus de précarité. »

J'ai emprunté à la bibliothèque Le bel avenir de l'Etat-providence, un peu au hasard et je vous le recommande. Je n'avais pas lu, ni entendu de critique sur cet ouvrage, publié en avril dernier, dans les médias dominants. Mes recherches sur un moteur de recherches indiquent qu'il a suscité plus le silence médiatique, voire la censure, que la polémique, ce qui est assez révélateur du pluralisme médiatique et de l'état du débat démocratique dominé par les propagandistes de l'école de Chicago et les admirateurs complexés et décomplexés de Thatcher.

A lire.

Commentaires

1. Le mercredi 8 octobre 2014, 19:48 par Lou de Libellus

Oui, cela paraît intéressant. Je remarque une vision réaliste de l'action écologique - qui ne consiste pas seulement (comme le disent les ignorants) à protéger les petits oiseaux, mais à construire un écosystème dans lequel nous, les bâtisseurs, puissions vivre avec les petits oiseaux.

"Mais, sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous les hommes: car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouiront sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possibles de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher." Descartes, Méthode, VI

Le terme important est : "comme".

"« compétitivité », « attractivité »... Mais sait-on que personne, dans la communauté académique, n’est capable d’en donner une définition "
Exactement. Ce ne sont pas des concepts (définis), mais des idées (indéfinies). (tu emploies le terme "concept" dans ton article)
Les compétiteurs ont-ils étudié la philosophie, au moins en classe de Terminale ?
La réponse est : pour certains, et des plus hauts, oui - hélas ! pour mon pessimisme.
Je m'arrête là, nous parlerions de l'âme et de l'éternité - des concepts, oui, très souvent mal compris.

Tiens, demain, chez moi, on parle de Saint-Exupéry, dont les derniers mots écrits étaient : "La termitière future m’épouvante."
(les tout derniers mots, à la dernière seconde, étaient : putain de bordel de merde je vais me crasher - Saint-Exupéry était un homme)

2. Le mercredi 8 octobre 2014, 20:10 par des pas perdus

Le problème pour un certain nombre de décideurs, c'est qu'ils ne lisent plus que des notes rédigées par leurs conseillers...

Antoine a sombré avant que je n'arrive sur ton blog...

3. Le jeudi 9 octobre 2014, 18:55 par Lou de Libellus

Antoine est bien là, mais ce matin, une maintenance (annoncée) des serveurs a entraîné des perturbations.

N'oublie pas 'A la Une' : anciennement un "module", avant la "réforme" d'OverBlog. J'ai repris la formule en "article", dont je modifie la date au fur et à mesure. Il n'y a qu'une ligne, vers une "page", réactualisée de temps en temps.
La dernière nouvelle est une chose que seule Madame de Sévigné pourrait qualifier en une page d'adjectifs. Tu verras.

4. Le vendredi 10 octobre 2014, 17:25 par des pas perdus

Oui j'ai vérifié...