Un pays à l'aube s'ouvre sur un match non officiel de base-ball entre une équipe improvisée de noirs et des professionnels blancs, dont le légendaire Babe Ruth. Les premiers ne l'emporteront pour des raisons purement extra sportives... Parmi eux, Luther, un jeune orphelin noir, ouvrier dans une usine d'armement qui sera, peu après, licencié comme ses frères d'infortune pour laisser la place à d'anciens combattants blancs de la première guerre mondiale. Ce sera le début d'un long chemin semé d’embûches dans l'Amérique de la fin des années 1910 où les noirs sont traités comme des citoyens de seconde zone, et dont la vie tient autant à leur instinct de survie et au hasard qu'au bon plaisir des blancs.
« Tiens, rien qu'à ton nez, tes cheveux crépus et tes lèvres épaisses comme des pneus de camion, je dirais que ton arrière-grand-père était originaire de l'Afrique subsaharienne. Probablement de Rhodésie ou de ces coins-là. mais ta peau claire et ces taches autour de tes pommettes, c'est antillais, ça, j'en mettrais ma main à couper. Donc, ton arrière-grand-père venait de la branche des singes et ton arrière-grand-mère de la branche des îles, et ils ont tous les deux trouvé leur place comme esclaves dans le Nouveau Monde, où ils ont donné naissance à ton père qui t'a donné naissance. Sauf, que ce Nouveau Monde, il ressemblait pas exactement à l'Amérique d'aujourd'hui, pas vrai ? Vous êtes un peu comme un pays dans le pays, d'accord, mais il vous appartient pas pour autant. T'es un non-Américain né en Amérique et qui sera jamais, jamais un Américain. (...) Parce que t'es un bois d'ébène, fils. Un nègre. »
Au cours de ses pérégrinations, il deviendra l'ami de Danny, simple flic humaniste, promis à un bel avenir. A la fin de la guerre, l'inflation fait rage, et les agents de police s'attachent plus à maintenir l'ordre établi contre les anarchistes, les bolcheviques et les socialistes qu'à lutter contre la délinquance et les trafics de la mafia. Chargé par ses supérieurs, en lien avec le fameux Hoover, d'infiltrer un temps les ennemis du capitalisme, Danny devient le dirigeant de l'association de policiers qui va se radicaliser peu-à-peu jusqu'à demander son affiliation au plus grand syndicat du pays...
« Il lut des récits parlant de mineurs grévistes brûlés vifs chez eux avec toute leur famille, de travailleurs de l'IWW couverts de goudron et de plumes, de délégués ouvriers assassinés dans les rues sombres de petites villes, de syndicats brisés ou déclarés hors la loi, de cols bleus emprisonnés, battus et expulsés du territoire américain. Invariablement, c'étaient ces gens-là qui étaient dépeints comme les ennemis du « formidable mode de vie américain. » »
Dennis Lehane nous plonge dans la ville emblématique de Boston en état quasi insurrectionnel. La tension sociale est à son paroxysme, tant la misère est grande alors qu'en Russie, les bolcheviques ont fait table rase du capitalisme. Les anarchistes commettent des attentats. Les rouges, bien que très divisés entre bolcheviques et socialistes, ainsi qu'entre américains et migrants européens, inquiètent les autorités. Les grèves se multiplient. Les patrons recrutent des jaunes protégés par les flics. Les quartiers populaires se soulèvent malgré l'interdiction de manifester. La troupe tire dans la foule. Tandis que le policier de base miséreux s'impatiente...
« A la maison, la situation empirait. Les rares fois où Connor prenait la parole, c'était pour s'emporter contre les anarchistes, les bolcheviks, les galléanistes et autres salopards du même genre. Les Juifs les finançaient, disait-il, et les Slaves et les Ritals se chargeaient pour eux du sale boulot; dans le Sud, ils poussaient les nègres à se rebeller, et à l'est, ils empoisonnaient l'esprit des ouvriers blancs; ils avaient essayé de tuer son patron, le procureur des Etats-Unis d'Amérique, à deux reprises; ils parlaient de syndicalisation et des droits du travailleur mais ce qu'ils voulaient vraiment, c'était la violence à l'échelle nationale et le despotisme. »
Un pays à l'aube est une passionnante fresque historique sur fond de crise économique, de misère, de corruption politique et de grèves sauvagement réprimées. Un grand roman dont il est difficile de se détacher, tant l'histoire et les destins des principaux protagonistes sont passionnants.
Commentaires
Toujours la crise et la misère !
Regarde autour de toi, chez nous, de ce jour : http://www.proprietesdefrance.com/a...
Je crois que c'est un livre pour moi. J'avais le football américain avec Picouly, je vais me mettre au baseball.
Tu te sentiras obligé de le chroniquer tant il est excellent...
Oui, j'avais adoré ce roman.
Moins que les Upton Sinclair ;-) (que j'adore inconditionnellement) mais quand même, excellentissime.
Sinon, il y a bien sûr "une histoire populaire des états unis" d'Howard Zinn. Incontournable. Chacune des centaines de "petites" histoires qui sont rapportées (pour dépeindre l'Histoire) dans cette étude historique est en fait une nouvelle à part entière. Elles pourraient toutes faire l'objet d'un roman ou d'un film dédié.
Il faut que je lise Zin... L'épaisseur me fait peur, mais bon, j'ai bien réussi à lire avec plaisir dernièrement La misère du monde de Bourdieu, après bien des hésitations.
Et, je note pour Upton Sinclair.
Des pas lit Bourdieu ! C'est bien là qu'on voit la misère du monde.
(à noter - non, c'est un memento pour moi - : Des pas, nanti, de gauche, photographe ET maso)
On est toujours le nanti de quelqu'un, et j'aimerai l'être pour ne plus devoir me lever tous les matins à 6 heures du mat pour aller bosser. Remarque fut une époque où je devais mettre le réveil plus tôt...
En fait, le bouquin a été écrit sous la direction de Bourdieu. J'ai failli publier une note de lecture.
But that's what being an artist is — feeling crummy before everyone else feels crummy. ~The New Yorker
J'ai le Dennis, à tout petit prix et très bien, mais ! tu n'avais pas dit que c'était un plus de 800 pages !
J'ai l'adresse de ton article, j'ai des copains siciliens ou presque qui ne plaisantent pas.
Je me sens obligé.