Vernon Subutex (Despentes)

un léger décalage...

Billet

« La vie se joue souvent en deux manches : dans un premier temps, elle t'endort en te faisant croire que tu gères, et sur la deuxième partie, quand elle te voit détendu et désarmé, elle repasse les plats et te défonce. »

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Je n'avais plus lu Virginie Despentes depuis son 2ème roman qui m'avait un peu laissé sur ma faim, trop dans la même veine que Baise-moi !. Et depuis, malgré des interviews très intéressantes et de bonnes critiques de ses derniers ouvrages, je n'avais pas "replongé".

« Il y a la queue aux caisses parce que chez Monoprix ils ne se font pas encore assez d'argent sur le dos des consommateurs, ils sont économes en caissières. Il choisit l'Indienne parce qu'il la connaît : elle est rapide. Pour une fois que quelqu'un fait bien son boulot... elle ne perd pas son temps à sourire comme si elle était là pour sucer la bite à tout le monde mais elle ne ralentit pas, elle n'a pas besoin d'une inspection de cinq minutes quand il s'agit de passer un produit devant le décodeur. Elle trace. »

Vernon Subutex est un roman comme je les aime, inscrit dans le réel, et dans le social, sans les délires religieux habituels de ses contemporains, avec une riche galerie de personnages qui pourraient être vous et moi, vos amis, vos voisins, vos collègues, les gus que vous croisez, le décor et l'envers. Une diversité de situations sociales et de parcours, de cadres surpayés qui ne savent que faire de leur fric gagné en jouant pour le compte d'une banque avec l'argent des autres, de rentiers qui s'ennuient, de couples divorcés ou en cohabitation, de simples salariés qui tentent de vivre, de fachos bruts de décoffrages et d'autres carriéristes, de divorcés, d'écorchés, de blessés et de laissés pour compte devenus inutiles à la machine capitaliste.

« Ce soir, en particulier, elle attend un message de Vernon Subutex. C'est pour le boulot. Il a à moitié accepté de la rencontrer. Mais ce n'est pas pour le boulot que ça l'exalte à ce point. Elle a envie de lui elle a envie de lui elle a envie de lui et elle ne rêve pas : il flirte avec elle. Elle a passé quarante-huit heures suspendue à sa page - le moindre like lui faisait l'effet d'un coup de reins, un com équivalait à une éjac et chaque message privé lui faisait monter la frénésie. Il n'y avait rien d'explicite dans leurs échanges, pourtant elle aurait juré qu'il était sur la même longueur d'onde : sexe, sexe, sexe. »

Le principal personnage, Vernon, proche de la cinquantaine. est un célibataire sans enfant, chômeur de longue durée, en fin de droits. Il vivote au jour le jour, retiré et cloîtré tant son RSA ne lui permet pas d'avoir une vie sociale. Il lui reste seulement internet pour fuir dans le monde virtuel des sites de rencontres et du porno. Toutefois, cet ancien disquaire demeure assez proche d'un ami chanteur, une star maudite, sorte de Daniel Darc, qui le sauve régulièrement de la mouise en lui donnant de quoi payer son loyer.

« Les choses ont changé. A notre époque, si on aimait faire chier le monde, on faisait du X, mais aujourd'hui porter le voile suffit. (...) Elle est chiante cette génération. Vivement qu'ils meurent tous, à cause de la sécheresse. »

Mais, la réalité va se rappeler à lui dans toute son horreur. La mort de la star marque le début de la déchéance sociale. Expulsé de son logement parisien, il commence par squatter chez les uns et les autres, les vieux copains d'avant et les anciennes conquêtes, en se faisant passer pour celui qui est de passage à Paris, installé depuis quelques années au Canada... Quelques chapitres passés, les amarres qui le relient à son passé sont larguées, c'est la rue, la déchéance, la mendicité, la violence, les compagnons d'infortune et la solitude. Pourtant, Vernon est activement recherché...

« C'est long une tournée. Les anciens sont accablés de voir ce que la Poste est devenue. C'est comme partout. Ils assistent à la démolition méthodique de tout ce qui fonctionnait,et en plus il faut leur écouter les bouffonneries des tarés sortis des écoles de commerce qui leur expliquent comment devrait marcher la distribution du courrier alors qu'ils n'ont jamais vu un casier de tri de toutes leurs chères études. Ça ne va jamais assez vite pour eux. Le petit personnel coûte toujours trop cher. Foutre en l'air les choses qui tenaient debout est plutôt rapide. Ils sont contents de leurs résultats : ils démolissent bien, ces salauds. »

Je n'en dirais pas plus. Lisez Vernon Subutex avant que le second tome ne sorte des presses. En attendant, je vais me programmer une séance de rattrapage tant ce roman m'a plu.

« Ils sont tous au service du grand capital, et ils s'étonnent qu'on se prélasse de ne pas faire partie de leur connerie. (...) Mon père était communiste. Alors quand je lis le journal, je comprends les messages qui en émane : gloire au grand capital. Malheur à ceux qui ne se soumettent pas entièrement. On n'a jamais mieux vu dogme respecté. Elle est géniale leur invention, la dette... comme des putes sans papiers, ils passeront leur vie à trimer pour essayer de rembourser ce qu'ils doivent à la naissance. Ah, pour taffer, ça taffe... tu sais pourquoi on nous tolère encore en ville ? (...) c'est parce que nous, on est les repoussoirs. Il faut que les gens nous voient pour qu'ils se souviennent de toujours obéir. »

Commentaires

1. Le jeudi 28 mai 2015, 08:32 par Lou de Libellus

C'est notre vécu...

Du coup, je l'ai commandé (à prix très réduit, comme neuf, déclaré neuf).

2. Le jeudi 28 mai 2015, 18:31 par des pas perdus

Tu es économe Lou. Tu ne le regretteras pas.