Ne deviens jamais pauvre ! (D. Friedman)

un léger décalage...

Billet

« C'est un type très poli, mon copain Mack; tous les ans, il m'envoie une carte pour Noël. Vous savez, j'ai tiré sur trente et un bonshommes, et c'est le seul qui ait jamais eu la politesse de me remercier, alors que c'était pour leur bien. (...) Dix-huit en sont mortes, donc je suppose qu'elles ont des circonstances atténuantes. Mais les autres sont des malpolis. »

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Le narrateur est un flic à la retraite, quasiment nonagénaire et presque grabataire, pensionnaire d'une maison de retraite médicalisée. Cependant, l'homme ne manque pas de volonté. Se déplacer avec un déambulateur ne l'empêche pas de griller de temps en temps une clope et de dégainer son flingue.

« Vous ressemblez aux juifs allemands qui se sont battus pour la patrie pendant la Grande Guerre. Ils sont entrés dans les fours au pas de l'oie, tout fiers d'eux »

A peine a-t-il le temps de s'imaginer mourir dans l'ennui, les traitements médicamenteux et l'horreur de se voir décrépir de jour en jour que son meilleur ennemi, un vieux coreligionnaire juif, lui demande un service que je ne dévoilerais pas. Ce dernier est un survivant de l'enfer nazi qui a choisi la carrière de truand, considérant que l'obéissance de son peuple à l'ordre social a aidé en partie la solution finale.

« Les patrons prennent, ils prennent, ils prennent, et ils espèrent que ceux qu'ils exploitent vont leur dire merci. »

Le récit fait alors de longs flash-back dans son passé de flic de l'après guerre. La police corrompue et dominée par les WASP, raciste à l'image de la société américaine, la communauté juive qui tente de se fondre dans le paysage, l'exploitation sociale des noirs en sus de la ségrégation, son fils qui ne comprend pas certaines méthodes policières, et la rencontre avec ce braqueur légendaire, jamais arrêté par la police, qui fera semblant de le soudoyer pour réaliser un casse dans la plus grande banque de la ville.

« j'ai eu de la chance quand ma mère a refusé d'être séparée de nous, quand elle a pleuré et supplié, et quand ils lui ont tiré dans la tête alors qu'elle tenait ma sœur dans ses bras. J'ai eu de la chance parce qu'ils n'ont tué que ma mère, et pas moi.
J'ai eu de la chance parce que j'étais à Auschwitz, et qu'on pouvait survivre à Auschwitz. Mon père aussi a eu de la chance, mais il pas su apprécier le destin que Hashem lui avait accordé. Après ce qu'ils avaient fait à ma mère, il n'a plus réussi à manger. »

Ne deviens jamais pauvre ! prend une dimension inattendue qui va bien au-delà de l'intrigue policière avec la rencontre de ces deux hommes, blessés par l'injustice depuis l'enfance, l'un par l'assassinat de son père dans des circonstances non élucidées, l'autre par le nazisme, qui portent le même regard sur la société, mais dont les choix de vie s'opposent frontalement.

« Ma mère m'avait dit : « ton père croyait en quelque chose qui dérangeait des hommes puissants, des requins. Un jour, toi aussi tu croiras peut-être en quelque chose. J'espère que tu te souviendras que tes convictions ne te protégeront pas ». »

Un roman noir atypique et passionnant.

Commentaires

1. Le mardi 18 août 2015, 09:11 par Lou de Libellus

"Ne deviens jamais pauvre !"
Mais on fait tout pour, mon vieux !
"considérant que l'obéissance de son peuple à l'ordre social a aidé en partie la solution finale"
Je l'ai déjà dit bien des fois. Un simple exemple :
http://chezloudelibellus.org/2015/0...
Les autres, la banque mondiale, l'armement mondial, le nucléaire mondial, sont planqués, inaccessibles : ils font l'ordre social - et il faudrait ajouter : l'ordre économique et politique.
_ Friedman, c'est juif ?
_ Oui, je crois.
(une citation très librement adaptée d'un dialogue de film où il est question de Matisse)
Je viens de commander le livre avec quatre autres de la même eau chez un gauchiste de Priceminister. Il avait six livres en boutique, j'ai presque raflé sa boutique. Les rafles...

2. Le mardi 18 août 2015, 10:53 par Robert Spire

"Ne deviens jamais pauvre !" dans un système èconomique où "l’agressivité compétitive domine les comportements". Henri Laborit explique pourquoi il est difficile (voire impossible?)pour l'humanité d'accoucher d'une société fraternelle. Pour les lecteurs qui ne l'ont pas ou peu lu, je conseille un petit livre qui résume ses recherches: "La colombe assassinée" disponible sur le net:
http://olivier.hammam.free.fr/impor...
Ou ne lire que l'épilogue:
http://olivier.hammam.free.fr/impor...

3. Le mardi 18 août 2015, 16:34 par Annie

quel nom a l'auteur ! comme l'autre le pro-libéral… heureusement que j'ai continué la lecture malgré tout.
très tentant ce bouquin. je note.

… moi j'en suis encore dans la suite de Anne Perry et la qualité se confirme (sauf un ou deux dont le motif de l'histoire ne m'a pas trop motivé).

Tous les sujets y passe : guerre de Sécession et esclavage et elle a la finesse de dire que ce n'est pas par bonté d'âme que le Nord est contre…

la prostitution, le jeu… chaque fois elle expose le sujet dans le contexte d'un suspens. On voyage aussi : Venise, Vienne, Washington.

4. Le mardi 18 août 2015, 18:17 par Lou de Libellus

Drôle de personnage, cette Anne !
Annie, de quelle suite parles-tu ? J'ai vu qu'il y en avait trois, mais où voyage-t-on à Venise, Vienne, Washington ?

5. Le mardi 18 août 2015, 18:59 par des pas perdus

Lou : je dirais plutôt que tu fais des rafales... qui volent haut !
Merci Annie pour le conseil de lecture.
Merci Robert, je vais lire à tête reposée Henri Laborit dont le nom ne m'est pas inconnu.

6. Le mercredi 19 août 2015, 07:15 par Lou de Libellus

C'est 'Mon oncle d'Amérique'. Le propos d'Henri Laborit est un peu daté, caricatural et insuffisant (pour notre part reptilienne), mais chez Alain Resnais, il n'y a rien à jeter. L'ensemble est tout de même franchement austère.

7. Le mercredi 19 août 2015, 14:11 par Annie

lou : suffit de suivre (en lisant mon blog)
http://www.penseelibre.fr/anne-perr...

une vingtaine sont publiés en France. J'ai entrepris de les lire tous… et comme ils sont une certaine suite par les vies des protagonistes c'est mieux de commencer par le 1er. Il m'en reste 8 à lire.

Là je viens de commander "Situations 1 et 2" de Sartre. L'intérêt que j'y vois c'est qu'il y parle de tout : philo, politique et donc actualités. Il me semble que cela pourrait m'aider à mieux comprendre ce qu'on vit actuellement.

8. Le mercredi 19 août 2015, 19:39 par des pas perdus

Lou choisit la facilité... ;-)
Excuse-le Annie, il s'endort dans son hamac, il ne peut suivre...

9. Le jeudi 20 août 2015, 08:42 par Lou de Libellus

C'est-à-dire que la lecture d'internet sur mon Phone, dans le jardin, est très lente - zone de faible réception.
Annie, j'ai vu - depuis l'ordinateur.