Portrait de groupe avec dame (H. Böll)

Portrait de groupe avec dame est une enquête minutieuse sur la vie d'une femme allemande, Léni, veuve et modeste retraitée en passe d'être expulsée de son logement. Cette femme n'a pas été épargnée. Son frère et son 1er amour ont été fusillés par les nazis. Le père de son fils, un prisonnier soviétique, a été tué à la fin de la guerre. Quant à son fils, il est emprisonné.

« Selon lui, tante Léni était en réactionnaire au sens le plus véridique du terme. Son refus instinctif, obstiné, inexprimé mais conséquent, non point d'approuver - ce qui aurait nécessité une formulation - mais simplement d'admettre tacitement toute manifestation de la notion de profit, était véritablement inhumain, monstrueux »

Le narrateur rencontre les témoins proches ou lointains, amis ou ennemis, de cette femme issue d'une famille de la petite bourgeoisie, dont le père entrepreneur fit presque de fortune pendant la guerre avant d'être emprisonné par les nazis. En creux, les témoignages et les parcours des uns et des autres dessinent un portrait peu flatteur d'une population qui a été capable de s'adapter ou de s'accoutumer au pire, en l'occurrence aux abominations du régime nazi, puis aux bombardements américains, et enfin au culte de l'argent roi et de la compétitivité du capitalisme.

« Plus encore que d'une question de principe, il s'agit pour nous d'une œuvre pédagogique, affectueusement pédagogique. Peut-être sous-estimez-vous les connaissances sociologiques d'un groupe comme celui des propriétaires immobiliers, mais je puis vous révéler ceci : on a découvert depuis belle lurette que c'est précisément dans ces vieux immeubles relativement bon marché et néanmoins dotés d'un certain confort que se forment les cellules qui déclarent la guerre à notre société fondée sur le rendement. »

Dans ce tableau, la mystérieuse Léni se révèle une personne romantique et incorruptible, dont les faits et gestes ne sont motivés que par l'amour, l'amitié et la justice. Une femme totalement dénuée d'ambitions sociales qui est suspecte ou marginale aux yeux de la majorité de ses concitoyens parce qu'elle survit sans se compromettre, sans chercher à tirer le moindre profit.

« Voyez-vous, les hauts salaires des travailleurs étrangers ne peuvent se justifier sur le plan économique que si les loyers en absorbent une bonne partie qui reste ainsi dans le pays. Nos trois Turcs gagnant ensemble plus de deux mille marks, il est absolument inadmissible qu'ils n'en consacrent qu'une centaine au paiement de leur loyer, utilisation de la salle de bain et de la cuisine incluse. (...) Le marché concurrentiel en est tellement faussé que si, telle une maladie contagieuse, cet exemple se propagerait, il saperait, éviderait, désagrégerait l'un des principes fondamentaux et de notre société basée sur le rendement et de l'Etat constitutionnel démocratique et libéral. C'est une atteinte à l'égalité des chances, comprenez-vous ? »

Portrait de groupe avec dame est un roman étonnant par son style. On reconnaît là Heinrich Böll, qui l'air de rien, sans forcer le trait, sans décrire de purs salauds, montre ses concitoyens sous un jour peu flatteur. A lire...