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« Au printemps 1930, Brüning devint chancelier. Autant que nous pouvions nous en souvenir, c'était la première fois que l'Allemagne était dirigée d'une main ferme. (...) »

« Pour poursuivre jusqu'à l'absurde le paiements des réparations, il mit l'économie allemande au bord de la faillite; les banques fermèrent, le nombre de chômeurs atteignit six millions. Pour sauver le budget malgré tout, il appliquait avec une farouche rigueur la recette du père de famille sévère : "se serrer la ceinture". A intervalles réguliers, tous les six mois environs, sortait un décret-loi qui réduisait et réduisait encore les traitements, les retraites, les prestations sociales, et finit par réduire jusqu'aux salaires privés et aux intérêts. (...)»

« Plusieurs instruments de torture les plus efficaces de Hitler furent inaugurés par Brüning: c'est à lui que l'on doit la "gestion des devises", qui empêchait les voyages à l'étranger, "l'impôt sur la désertion", qui rendait l'exil impossible; c'est lui aussi qui commença à limiter la liberté de la presse et à museler le Parlement. Et pourtant, étrange paradoxe, il faisait tout cela pour défendre la république. Mais les républicains commençaient peu à peu à se demander, et on les comprend, ce qui leur restait encore à défendre. »

« A ma connaissance, le régime de Brüning a été la première esquisse et pour ainsi dire la maquette d'une forme de gouvernement qui a été imitée depuis dans de nombreux pays d'Europe : une semi-dictature au nom de la démocratie et pour empêcher une dictature véritable. »

« Quiconque se donnerait la peine d'étudier à fond le système de Brüning y trouverait tous les éléments qui font en fin de compte de ce mode de gouvernement,de façon presque inéluctable, le modèle de ce qu'il est censé combattre : c'est un système qui décourage ses propres adeptes, sape ses propres positions, accoutume à la privation de liberté, se montre incapable d'opposer à la propagande ennemie une défense fondée sur des idées, abandonne l'initiative à ses adversaires et finalement renonce au moment où la situation aboutit à une épreuve de force. (...) »

« On couvrait Brüning, parce qu'il semblait la seule protection contre Hitler. Il le savait, bien entendu. Et comme son existence politique était directement liée à sa lutte contre Hitler, et donc à l'existence de celui-ci, il ne devait en aucun cas l'anéantir. Il devait combattre Hitler, mais en même temps le conserver. Il ne fallait pas que Hitler parvienne au pouvoir, mais il devait rester dangereux. Il était inévitable que l'équilibre se rompit un jour. Qu'arriverait-il alors ? (...) »

« Brüning lui-même n'avait rien d'autre à offrir au pays que la misère, la morosité, la limitation de la liberté et l'assurance qu'on ne pouvait rien offrir de mieux. »