L'entreprise barbare

un léger décalage...

Billet

entreprisebarbare.jpg La semaine dernière, le Medef et certains syndicats ont crée un énième contrat de travail qui précarise plus encore les salariés, avec des périodes d'essai plus longues et l'instauration d'une procédure de séparation à l'amiable. Les dispositifs qui devaient l'accompagner, un tant soit peu favorables aux salariés pour les sécuriser, ont été renvoyés aux calendes grecques de futures négociations et dispositions législatives.

Il n'est sans doute pas inutile de se pencher sur cette tendance qui flexibilise plus encore et détruit peu-à-peu les droits des salariés, y compris ceux qui bénéficient d'un contrat à durée indéterminée.

En lisant "L'entreprise barbare" (chez Fayard), le lecteur (re)découvre l'enfer l'envers du décor du monde de l'entreprise si bien vendu par le Medef, les médias dominants et la droite néo-libérale. Même si ce livre a été publié en 1999, les faits qu'il rapporte n'en sont pas moins actuels.

1. Licencier le salarié sans en supporter le coût

L'entreprise barbare dévoile que la précarité, de la caissière de supermarché au dirigeant de la filiale française d'une multinationale, concerne tous les salariés, quelles que soient leurs qualifications et leurs places dans la hiérarchie. Si votre tête ne plaît plus à la nouvelle direction, si vous avez une certaine ancienneté, si une nouvelle direction prend le contrôle de l'entreprise ou change de stratégie, sachez que vous êtes à la merci d'une décision arbitraire.

"L'entreprise n'a plus envie de travailler avec toi. Nous prendrons le temps qu'il faudra, mais tu ne sortiras pas de ce bureau en étant encore salarié de la société"

Au fil des pages et des témoignages des salariés, des médecins du travail, des syndicalistes, et des patrons, le lecteur découvre un monde bien éloigné de l'image d'épinal de l'entreprise citoyenne. Pour éviter de supporter le coût d'un licenciement ainsi que la dégradation de son image publique, l'entreprise dispose d'une panoplie de moyens pour mettre au pas les salariés et pour virer ceux qu'elle ne juge plus conformes.

Intimidations, harcèlement moral, mépris, mesures vexatoires, isolement, accusations pour des fautes imaginaires : tous les moyens sont bons pour pousser à bout le salarié qui n'entre pas dans le moule de la fameuse culture d'entreprise. Rares sont ceux qui ne développent pas une dépression, un sentiment d'échec et d'inutilité. C'est le licenciement à petit feu qui fait craquer et pousse le salarié à démissionner.

Il y a ce témoignage d'un cadre supérieur qui pulvérisait ses objectifs, et qui du jour au lendemain découvre qu'il n'a plus de bureau ni aucune attribution... Suite à ses demandes répétées, sa hiérarchie lui fait comprendre qu'il n'a plus sa place, et qu'il devrait démissionner... Ensuite, c'est l'infernale spirale : démission, dépression et divorce.

Les moyens peuvent s'avérer plus pernicieux : le directeur et les proches collaborateurs ne disent plus bonjour, les avantages accessoires (voiture de fonction) sont supprimés, plus aucune invitation aux réunions de travail, les plaisanteries déplacées, les dossiers qui se raréfient, les courriers qui arrivent en retard, le budget du service qui est diminué... pour faire naître un sentiment de culpabilité et d'inutilité.

Il y a aussi la méthode dite du ping-pong dans les grandes entreprises très hiérarchisées :

"En interne, on appelait ça la méthode du ping-pong (...). Il s'agit de balader le salarié d'un poste à l'autre, d'un service à à l'autre, d'un responsable à l'autre, jusqu'à ce qu'il craque et accepte de négocier son départ."

Il y a également d'autres méthodes peu reluisantes qui s'apparentent aux fameuses autocritiques de l'ère stalinienne : du pain béni pour l'entreprise qui n'a plus ensuite qu'à puiser dans les écrits de son salarié pour l'accabler et le pousser à la démission :

"On demande aux employés de décrire tout ce qui leur semble mal fonctionner dans leur service. Malheur à ceux qui qui se laissent emporter par leur zèle critique. Ils pourraient bien être accusés d'incompatibilité d'humeur ou de désaccord avec l'encadrement. Autant de motifs valables pour se débarrasser d'eux."

Certaines entreprises qui rebutent à faire elles-mêmes le sale boulot, s'attachent les services de psychologues, cabinets d'avocats, consultants ou de cabinets d'évaluation :

"Tout est fait pour vous mettre en confiance, pour vous inciter à vous livrer (...). Le bilan de compétences, où sont consignés ses aveux, est remis à la direction, qui est au regret de l'informer qu'aucun poste correspondant n'est disponible au sein du groupe (..). Le mieux est d'envisager un reclassement à l'extérieur". La salariée est coincée. Ils vont la licencier. Elle peut bien-sûr faire un procès aux prud'hommes, mais ils auront beau jeu de sortir le dossier du cabinet..."

Ces faits qui peuvent paraître anecdotiques rappellent que la protection d'un contrat à durée indéterminée est toute relative . Depuis une dizaine d'années et l'arrivée de puissants fonds de pension, la politique des entreprises a radicalement évolué et la condition des salariés s'est dégradée.

2. Fonds de pension, stock option, fusions, licenciements et précarisation des salariés en CDI

Comme l'expliquent longuement Albert Durieux et Stéphène Jourdain, les directions doivent satisfaire leurs actionnaires. Or, ces derniers sont bien souvent des fonds de pension très puissants, aux budgets parfois supérieurs à celui d'un pays comme la France, qui exigent une rentabilité annuelle minimale de 15 %.

"La fonction des plans sociaux a en effet radicalement changé. Jusqu'au début des années 90, on licenciait sous la pression de mauvais résultats, lorsque la survie de l'entreprise était en jeu. Aujourd'hui, on licencie à titre préventif, pour améliorer davantage encore sa rentabilité et doper les dividendes versés aux actionnaires. On licencie pour garder la forme".

Dans une économie mondialisée, ces fonds évitent parfois aux entreprises de perdre du temps à s'endetter lourdement. En conservant la confiance de ces si puissants fonds, elles disposent d'importants moyens financiers pour investir et contrer la concurrence.

De plus, nouvel élément à ne pas négliger, la rémunération des dirigeants est constituée d'une part non négligeable de stock options. En liant la rémunération et la fortune des dirigeants aux cours de la bourse, les fonds de pension savent que les PDG et hauts cadres de l'entreprise ont les mêmes priorités qu'eux, la même vision à court terme de l'entreprise... On a aussi constaté l'apparition des fameux parachutes en or dont les sommes considérables dépassent l'entendement...

Ainsi ces dernières années, les vagues de fusions entre entreprises furent suivis de plans sociaux, alors que les multinationales réalisaient des bénéfices records. Prenons l'exemple du groupe Mittal-Arcelor, leader mondial de l'acier, créé en 2006. La fusion entre Mittal et Arcelor devait au moins garantir le maintien des emplois et de l'activité...

Après des résultats supérieurs aux prévisions les plus optimistes, soit un bénéfice net de 2,96 milliards de dollars au dernier trimestre 2007, en hausse de plus de 36 % par rapport à la même période en 2006, et un chiffre d'affaires qui a progressé de plus de 15 %, le groupe Mittal-Arcelor a annoncé la suppression de plus de 700 emplois soit plus de la moitié des effectifs du site de Grandange (Moselle).

Les multinationales mènent une politique systématique de réduction drastique des effectifs et d'externalisation pour réduire les frais en personnels et surtout, pour confier un maximum de tâches aux sous-traitants, au moindre coût.

Elles se déchargent ainsi du poids de la gestion d'une masse salariale importante grâce à la sous-traitance et utilisent une main d'oeuvre à flux tendus... Que des avantages auxquels nous pourrions ajouter les aides directes et indirectes de l'Etat et des collectivités locales...

Les sous-traitants qui n'ont guère de poids pour négocier des contrats décents avec les grands groupes, s'efforcent de tirer le maximum de leurs salariés qui subissent des conditions de vie et de travail dignes du 19ème siècle.

A noter également, une nouvelle tendance : certaines entreprises de consultants créent elles-mêmes de petites structures avec les salariés licenciés dont elles louent ensuite les services aux multinationales qu'elles ont justement aidées à licencier :

"Cette pratique, baptisée l'out-sourcing (ou externalisation), est en pleine expansion. Elle touche tous les secteurs de l'entreprise jugés non stratégiques : comptabilité, service du personnel, logistique, informatique... Un pas de plus vers la création d'un supermarché du travail : le salarié de base est devenu une marchandise qu'on achète, vend remise ou transfère, seul ou équipe".

La main d'oeuvre des sous-traitants, majoritairement issue des grandes entreprises, a vu ses conditions de travail se dégrader : grande disponibilité pour intervenir à toute heure et horaires de travail atypiques et flexibles. Dépendants de petites structures où les syndicats ont les pires difficultés à s'implanter, pour ces salariés, c'est quasiment "bosse ou crève".

Cette précarisation de travailleurs, pourtant en CDI, a également des conséquences sur la santé. Le corps médical témoigne du nombre anormalement important de certaines pathologies :

"Ulcères, insomnies, prise ou perte de poids, hypertension, tabagie, troubles de la mémoire, dépression nerveuse, risques d'infartus... Philippe Anton, médecin à Nanterre, commence à connaître par coeur, à diagnostiquer les yeux fermés tous ces maux qu'il a baptisés les maladies économiques".

Dans cet univers gris et impitoyable, les auteurs mettent en exergue des témoignages qui apportent quelques touches de couleur et d'espoir. L'entreprise barbare est un livre passionnant encore disponible sur le net ou en bibliothèque.

Et pour conclure et éviter d'être taxés d'affreux idéologues bolcheviks , nos pas perdus vous invitent à lire cet étonnant article sur Favi de Marianne Rey (L'Entreprise.com).

Commentaires

1. Le mercredi 23 janvier 2008, 13:26 par patrick

je suis administrateur d'une PME, les salaires de structure n'augmentent pas depuis trois ans, j'ai vu des ouvriers pleurer de ne pas pouvoir, à cause de la maladie, venir travailler...le sentiment réel de vivre ailleurs.

2. Le mercredi 23 janvier 2008, 14:02 par pas perdus

Quel contrat ont-ils ? CDI, CDD, CDII ?

3. Le mercredi 23 janvier 2008, 21:42 par patrick

cdi

4. Le jeudi 24 janvier 2008, 09:19 par pas perdus

Peut-être n'ont-ils que leur travail ?

5. Le vendredi 25 janvier 2008, 06:06 par patrick

je ne suis pas leur porte-parole mais je crois que certaines personnes aiment réellement leur travail parce que ce dernier repose sur un savoir-faire rare, reconnu, valorisé.

je me souviens avoir vu l'enregistrement de l'un d'entre eux à une émission de "question pour un champion": il parlait de son métier avec passion.

il faut aussi se garder des raccourcis, des pensées ou jugements rapides. la meilleure de mes amies me présente systématiquement aux autres comme "un sale patron"

6. Le vendredi 25 janvier 2008, 08:01 par pas perdus

C'est certain, il faut éviter de généraliser. Il y a ici et là des contre-exemples. Cependant, il y a peu d'ouvriers surtout dans l'industrie à qui on a laissé un savoir-faire reconnu et valorisant qui donne tout son intérêt au travail... Il y a un bouquin, "L'établi", publié dans les années 70, qui raconte la dépossession de l'ouvrier de son savoir par une nouvelle organisation du travail.