Même si Ryszard Kapuscinski se défend en préambule d'avoir écrit un livre sur l'Afrique, l'ensemble des récits qui le composent et qui se déroulent sur près de 4 décennies, permettent d'appréhender ce continent, sa complexité, son histoire, son évolution, ses peuples.
Lors de la décolonisation, époque où l'auteur est nommé correspondant, le continent baignait dans l'euphorie. La population croyait que l'indépendance apporterait paix et prospérité.
Or, c'est tout le contraire qui s'est produit.
Après l'indépendance, les anciens pays coloniaux ne sont pas complètement partis, divisant l'Afrique pour préserver leurs intérêts économiques et stratégiques, créant divers états ne reposant sur aucune logique territoriale ou ethnique, hormis celle de diviser et de composer des communautés artificielles, souvent antagonistes, parfois même racistes entre elles, dont certaines n'ont cessé de s'affronter au cours de l'histoire.
Ce continent qui fut un terrain de "jeu" de la guerre froide, souffre du libéralisme économique, de la rapacité des sociétés multinationales, de la corruption généralisée, des dictatures les plus sanguinaires, de l'inculture et de la violence de ses dirigeants, pour qui la politique est le seul moyen de s'enrichir rapidement et de s'élever socialement. Les exemples sont si nombreux qu'il est difficile d'en choisir un pour illustrer ce billet : l'Ouganda, le Rwanda, le Soudan, l'Éthiopie ?
Le Liberia. A partir de 1820, à l'instigation de sociétés américaines philanthropiques, des esclaves affranchis, la plupart illettrés et analphabètes, sont libérés sur le continent de leurs ancêtres, à Monrovia. Or, ces colons, d'un nouveau genre, n'aspirent pas à vivre dans une société apaisée, un Etat démocratique, un système respectueux des droits de l'Homme. Faute d'instruction et de culture politique, ils reproduisent le seul système qu'ils ont connu aux États-Unis :
Le Libéria, c'est la prolongation de l'esclavagisme par des esclaves qui refusent de détruire un système injuste et s'emploient à le maintenir, le développer dans leur propre intérêt."
Un continent qui semble frappé par la malédiction. Aux luttes ancestrales entre certaines tribus et ethnies, à la corruption engendrée par le néo-colonialisme, à l'analphabétisme, au racisme, à l'extrême pauvreté, à la famine, parfois au déracinement et à l'ennui, ainsi qu'à l'exil des élites intellectuelles, s'ajoute le fléau des warlords armés par des puissances étrangères, ces maitres de guerre, sans foi ni loi, qui font régner la terreur et l'arbitraire.
Ébène, aventures africaines de Ryszard Kapuscinski est terrible et émouvant. Il évite deux écueils habituels pour ce genre de récits : la dénonciation et le pathos, se limitant à la description des rencontres, des faits et des événements.
A lire.