L'UE = URSS ?

un léger décalage...

Billet

Il y a quelques mois, nous avions sorti un petit billet en citant un ex-dissident soviétique qui estimait que l'UE était aussi peu démocratique que la défunte URSS...

Lundi, nous avons découvert dans Médiapart une intéressante tribune de l''économiste américain James K. Galbraith, intitulée L'Europe est condamnée si elle ne se réforme pas.

Ce dernier fait également une étonnante comparaison entre l'URSS et l'actuelle Union européenne, mais pour d'autres raisons. Un parallèle si pertinent que nous nous permettons de reproduire sa tribune ci-dessous :

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«L'effondrement de l'empire soviétique en 1989, puis celui de l'URSS en 1991, ont été relégués au confins de l'Histoire, dans les consciences occidentales.

Mais ces événements devraient nous rappeler que les constructions politiques ne sont pas éternelles. Le communisme a longtemps représenté une menace puissante face à ses adversaires capitalistes. Mais les espoirs portés un temps, peuvent s'écrouler d'un coup, selon l'évolution des circonstances.

L'Europe, à sa création, puis lors de son expansion à la fin de la Guerre Froide, formait un projet politique brillant. Son objectif n'était pas le pouvoir mais la paix. Une vision du monde véritablement noble.

Mais ce noble projet s'est construit sur des systèmes économiques incapables de se remettre en cause, sur une croyance anachronique dans le pouvoir des marchés, et sur une idéologie monétariste, doublée de critères arbitraires en matière de déficit et de dette publique.

A l'aube d'une débâcle financière mondiale, tout cela n'est plus d'aucune utilité. Il faut abandonner ces principes rapidement. Sinon, l'Europe sera condamnée. Exactement comme le communisme a condamné les pays de l'ex-empire soviétique.

Une construction défectueuse

L'Europe est tiraillée entre deux structures stables: un Etat fédéral d'un côté, et une communauté d'Etats de l'autre. Un modèle intermédiaire existe, que l'on appelle «confédération»: il a par deux fois échoué aux Etats-Unis, la dernière remontant à 1865.

Le Sud a perdu la Guerre civile, en partie parce que l'Etat central bénéficiait de trop de pouvoir. Ce qui a compliqué la levée des fonds, comme des hommes, pour poursuivre la bataille. Après cette défaite, il a fallu attendre presque 70 ans - jusqu'au New Deal de Roosevelt en 1933 - pour que des mesures soient prises, pour tenter d'en finir avec la pauvreté, et la stagnation de l'économie, dans le Sud des Etats-Unis. Le monde contemporain a également oublié ce pan de l'Histoire.

La crise mondiale (déclenchée en 2007, ndlr) a frappé de plein fouet ce qui faisait la spécificité de l'Europe, ce mélange d'idées économiques d'un autre temps, et d'une structure politique instable. Minés par leurs porte-feuilles d'actifs toxiques américains, les investisseurs ont cherché à réduire la casse, sur les marchés, en écoulant des titres de dette souveraine émise par de "petits" pays affaiblis : la Grèce, l'Irlande, le Portugal et l'Espagne.

Des problèmes ignorés

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Les rendements de ces dettes ont alors explosé. Dans le même temps, les rendements des dettes des Etats-Unis, de l'Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne, eux, ont baissé. Nous n'avons pas découvert du jour au lendemain que la Grèce était mal gérée, ou que les fondamentaux qui sous-tendaient l'essor du secteur immobilier en Irlande, n'étaient pas sains. Ces choses-là étaient connues. La nouveauté, ce fut d'abord l'effondrement des marchés financiers, puis le refuge des investisseurs vers la qualité (flight to safety), et les vagues de spéculation prédatrices qui s'en sont suivi.

Il est ensuite survenu ce qui arrive à chaque fois, lors d'une crise de la dette: une crise de solvabilité du secteur bancaire.

C'est ce qu'il s'était déjà passé dans les années 80, lorsque l'administration Reagan s'était sentie obliger de préparer un plan secret visant à rien moins que nationaliser les principales banques new-yorkaises, dans l'hypothèse où un seul de leurs créanciers latino-américains fasse défaut. C'est aussi ce qu'il s'est passé en 2008-2009, lorsque le problème numéro un de la politique américaine consistait à tout faire pour empêcher l'effondrement imminent de Bank of America, de Citigroup et d'autres.

Il est évident que l'Europe politique, aujourd'hui, se démène pour une seule chose: trouver des moyens d'étouffer les difficultés de ses banques. Il y a eu des stress tests bidons, des prêts supplémentaires accordés, de nouveaux cycles de négociations mouvementées, des critiques envers la prodigalité de la Grèce ou d'un autre pays... Bref, nous avons eu droit à tout, sauf à un examen honnête du coeur du problème.

Une situation intolérable

A présent, la Grèce, sous l'impulsion d'un gouvernement décidé, et malgré une contestation importante en interne, a rempli les conditions onéreuses qui lui avaient été imposées. Mais pour quoi faire ?

Pour obtenir des prêts qui seront immédiatement recyclées par les banques européennes. Ce qui n'améliore en rien les perspectives de la Grèce, et ne fait que gonfler un peu plus sa dette. Les taux d'intérêt sur les marchés ne baisseront pas, la croissance ne reprendra pas, et les réformes nécessaires qu'il lui faut adopter, ne seront pas facilitées. La situation est intolérable, et il n'est plus possible de la prolonger bien longtemps.

Si l'on suit cette route, il n'y aura à l'horizon que des défauts, des mouvements de panique, l'implosion de la zone euro, de l'hyperinflation dans les pays qui sortiront de l'euro, et l'effondrement des exportations dans les pays qui choisiront d'y rester.

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En bout de course, nous assisterons à d'importants mouvements de population - comme ce qu'il s'est passé dans le Sud des Etats-Unis. Si l'Europe continue de vouloir appauvrir sa périphérie, il ne faudra pas s'attendre à ce que ceux qui subissent de plein fouet cette décision, restent assis et contemplent leur destin.

Mais il existe une autre route. Celle qui revient à assumer des responsabilités communes, qui permettent de renforcer la convergence des économies européennes, via des politiques de soutien. Les dettes souveraines en excès par rapport au plafond fixé par le traité de Maastricht, pourraient être ainsi transformées en eurobonds (dettes souveraines européennes). Un programme d'investissement public-privé permettrait en même temps de relancer la croissance et l'emploi, conformément à ce que certains des plus sages dirigeants européens ont proposé, il y a quelques jours, dans un manifeste. Dans la foulée, il faudrait en passer par des réformes constitutionnelles, qui permettraient d'adapter l'Europe, et ses politiques, aux réalités de l'après-crise.

L'Europe se trouve donc confrontée à un choix, qu'elle doit trancher rapidement, entre, comme le disait Charles de Gaulle en 1969, "le progrès et le bouleversement".»

Commentaires

1. Le lundi 1 août 2011, 21:00 par Romain / Variae

Ca donne vraiment envie d'être optimiste ... :-(

2. Le mercredi 3 août 2011, 08:38 par des pas perdus

en effet ;-)

3. Le mercredi 3 août 2011, 16:07 par pamphile

C'est affolant !! Avec des néo-libéraux entêtés et... majoritaires en Europe.
Merci pour la reproduction de ce texte !

4. Le mercredi 3 août 2011, 18:19 par Annie

merci pour l'info (et j'ai été lire ton article en lien, intéressant aussi)
et il sait de quoi il parle. Il voit ça depuis un pays anglo-saxon (tradition économique très différente, Thatcher, blair et maintenant), ça peut l'influencer aussi, de plus il connait l'histoire des EU dont ici nous nous foutons en général (on a toujours tord d'ignorer l'histoire, elle est le fondement d'une pensée présente), mais aussi la GB s'est toujours battu contre l'europe… en tenir compte

5. Le mercredi 3 août 2011, 18:39 par des pas perdus

Annie : La GB a imposé ce qu'elle voulait à l'Europe...
Pamphile : mais de rien...

6. Le mercredi 3 août 2011, 23:18 par joey

font chier avec leur croissance ... zont qu'ce mot la a la bouche.

7. Le jeudi 4 août 2011, 01:30 par babelouest

Mais aussi, pourquoi pas nationaliser les banques : elles appartiendraient au peuple, alors qu'actuellement c'est l'inverse. Les États n'auraient plus qu'une dette envers eux-mêmes. Bien entendu, pas question d'indemniser les actionnaires de ces banques, qui devraient plutôt de l'argent pour s'être goinfrés pendant des années. Défaut de paiement ? Non, annulation de dettes indues, artificielles, scélérates. L'euro pourrait rester, en tant que moyen commun et commode de paiement, mais c'en serait bien entendu fini de la monnaie unique et accessoirement inique.

8. Le jeudi 4 août 2011, 06:52 par des pas perdus

joey : je partage ton avis mais ce texte est tout de même intéressant. Les économistes atterrés m'ont déçu pour ça.

babelouest : un secteur bancaire public puissant est une des propositions du front de gauche.

9. Le jeudi 4 août 2011, 09:56 par joey

Vu le montant des interets que l'on rembourse pour les prets contractes aupres des banques, barrer nos dettes d'un coup de crayon ne serait finalement pas si douloureux pour les etablissements financiers.
Ce qui serait vraiment interessant, ce serait de parvenir a devaloriser l'argent, pas la monnaie mais l'argent en tant qu'element d'echange. On parviendrait ainsi a terrasser definitivement la speculation et ceux qui auraient capitaliser depuis des annees se retrouveraient sans rien pour ainsi dire.

10. Le jeudi 4 août 2011, 11:02 par des pas perduss

A ce sujet Joey, le dernier Monde Diplomatique est éclairant. Cela fait longtemps que les spéculateurs ont été remboursés.

11. Le jeudi 4 août 2011, 11:11 par joey

@despasperdusdvu

Ah! ce sera ma lecture de vacances, d'ailleurs ca fait un moment que j'ai pas lu le Diplo.

12. Le jeudi 4 août 2011, 11:14 par intox2007

Tiens "de l'hyperinflation dans les pays qui sortiront de l'euro, et l'effondrement des exportations dans les pays qui choisiront d'y rester" .. pourquoi donc effondrement des exportations dans les pays qui resterons dans l'euro ?

Joey : non on peut d'abord dire : vos interets , hop on les ramène à 0,2% par exemple, mais ça tu ne peux le faire qu'a 20 ou 30 et le même jour, à la même heure pour choquer le marché, rendre les traders fous. Oui au meme moment. Sinon ça ne marchera pas.

L'essentiel sera de contrôler les banques (nationaliser, tutelle, changement de leur structure de CA par la loi), publier leur comptes (ils le font déjà partiellement) et rôle dans les crises, et de commencer par interdire d'utiliser les fonds des clients et entreprises pour spéculer. Savez vous que vos assurances vies sont placées en obligations d'état (dettes Française ou pays UE) et que des filiales de vos banques spéculent sur ces dettes. isoler la finance de l'économie réelle. Interdire la spéculation sur les CDS sans posseder physiquement le produit financier ciblé par le CDS... puis la spéculation à découvert.
Rien que ça pour commencer devrait en calmer quelques uns.

Après et ça personne n'en parle : il faut une initiative des gauches européennes , par ce que ça ne sert à rien de penser qu'on fera tout tout seul dans son coin . Donc que des gens qui se détestent se mettent d'accord sur un compromis. Là j'ai mis un gros mot. Mais on ne peut pas dire "changer la construction européenne" tout seul, faut un projet à plusieurs que les gauches de 4 5 ou 6 nations disent : voilà ce qu' on propose.

13. Le jeudi 4 août 2011, 12:08 par joey

@Intox2007

"a 20 ou 30 et le meme jour": autant dire jamais. Par contre, un pays consequent comme la France qui laisse entendre qu'il envisage de ne jamais rembourser et qu'il est souverain peut, comme tu le dis "choquer le marché, rendre les traders fous"... J'imagine la cascade, l'enchainement de panique.

14. Le jeudi 4 août 2011, 12:47 par intox2007

France ? conséquent ? euh non pas au niveau des "marchés" justement. Sais tu que la Deutsche Bank a part exemple vendu 15 milliards d'obligations italienne , précipitant spéculation sur l'Italie. Voila le genre de souci à prévoir et gérer. Si tu ne fais pas TOUT en une seule seconde , tu dois le faire progressivement : problème de rapport de force, d'ou besoin de discuter a 4,5 ou 6 déjà et y aller progressivement.

15. Le jeudi 4 août 2011, 13:23 par des pas perdus

Intox 2007 : Je crois qu'on a tous été plus ou moins imbibés par 20 ans de discours déclinistes. La France est la deuxième puissance de l'UE: Sapir estime que c'est suffisant pour être à l'initiative du changement. D'autres la rejoindront probablement pour éviter le mur qui se profile...

16. Le jeudi 4 août 2011, 14:22 par joey

@intox2007

Si, c'est largement suffisant. L'allemagne et la France sont les deux chevilles de l'Europe. Si l'une des deux se brise et decide de tirer un trait sur sa dette publique, cela suffira a creer un precedent de non-remboursement des dettes publiques, d'autres pays suivront et les bourses essayeront d'anticiper dans la panique. Apres, ce sera un sacre beau bordel il faut l'admettre et nul ne peut vraiment imaginer ce qui peut s'ensuivre.

17. Le jeudi 4 août 2011, 16:41 par des pas perdus

Ce ne serait pas la première fois qu'un pays ne paie pas sa dette...