L'auteur se saisit du parcours du peintre Zoran Music, emprisonné à Dachau entre 1943 jusqu'à la libération du camp, pour s'interroger sur le passé et le présent de la société, l'évolution de l'art, ou l'importance de la culture et de la mémoire.
Au cours de sa réflexion, Jean Clair trace un saisissant parallèle entre les sociétés nazie et néo-libérale qui, d'ailleurs, renvoie aux travaux de Klemperer et de Hazan :
«Quand, au début des années des années 80, les "services du personnel" ont été remplacés dans la nomenclature des administrations privées et publiques par les départements des "ressources humaines", on a pu penser que le nazisme qui avait perdu la guerre avait en revanche gagné les esprits. (...).»
La domination idéologique a modifié la langue, les codes, créé et remplacé des expressions pour changer la représentation de la réalité, si bien qu'au quotidien, nul ne s'aperçoit de cette manipulation qui aboutit à la soumission inconsciente du plus grand nombre :
« Il se rencontrera encore dans le recours incessant à l'euphémisme, qui avait caractérisé la langue du IIIème Reich et qui caractérise le vocabulaire de la rationalité économique nue : on parlera de "dégraissage" là où naguère il s'agissait d'individus qu'on, réduisait au chômage : l'image est d'une machine machine qu'on nettoie de ses impuretés.»
Le langage forgé par les nazis et la novlangue néo-libérale ont ceci de commun qu'ils contribuent à cacher, voire à effacer l'individu en le transformant en un rouage ou en un bien quelconque afin de rendre acceptable et efficace le système :
«Un nazisme ordinaire, sans doute, distillé, moins virulent que le modèle. Un nazisme pourtant, aussi mortel à long terme. Celui qui utilise un sigle, non seulement euphémise la réalité, mais encore se donne le sentiment réconfortant, par un savoir spécial, d'appartenir, en tant qu'initié, à une communauté particulière. Le souci de brièveté, indispensable à la rationalité technique, s'allie au sentiment mystique d'appartenir à un cercle d'élus, tout en s'épargnant la peine de devoir énoncer une réalité pénible.»
Un livre qu'il n'est pas inutile de lire à l'heure où le néo-libéralisme s'acharne à mettre sous son joug les peuples du continent européen...
Commentaires
A noter aussi ce travers constant, lui aussi hérité d'heures bien sombres, de retourner des termes pour complètement brouiller les repères, comme le fameux Arbeit macht Frei.
Exact...
Il y a un moment déjà que l'on constate ce "glissement" de la langue. En trouver la racine dans l'hitlérisme fait froid dans le dos !
Oui, ça m'a saisi...