Arrêtez-moi là ! (Ian Levison)

un léger décalage...

Billet

« Mon objectif est de vivre ici aussi confortablement que possible, d’éviter les affrontements sauf quand ils sont absolument nécessaires, d’essayer de survivre. Je me rends compte qu’au fonds j’avais établi les mêmes règles pour ma vie d’avant, et je me demande si j’ai raté l’occasion de changer. Trente-six ans et chauffeur de taxi, inerte et indifférent, lessive le mercredi, une distraction quelconque le jeudi, et retour à l’engourdissement le vendredi. Quel genre de vie était-ce ? Qu’est-ce que j’attendais ? »

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L'histoire débute par les dernières heures de liberté du narrateur. Il fait sa dernière course, passe la soirée seule, et le lendemain, la police fait brutalement irruption dans sa vie. Il se retrouve menotté, fouillé, interrogé, et accusé de l'enlèvement d'une jeune fille. Aucune preuve contre lui, hormis ses empreintes sur la fenêtre d'une de ses dernières clientes qui lui avait permis, après une course, d'utiliser ses toilettes.

« La colère vous rongera de l’intérieur, c’est une chose que vous apprenez en prison, nous dit Wells de sa voix apaisante de baryton. Brûler de colère ne blesse que vous-même. »

Ne disposant d'aucun alibi pouvant le disculper, ses explications sur la présence de ses empreintes sur les lieux de l'enlèvement ne convainquent pas les enquêteurs, trop heureux d'avoir si rapidement déniché le coupable idéal, un pauvre chauffeur de taxi, célibataire et sans enfant, qui a même été arrêté dans sa jeunesse pour un délit très mineur. Bref, un dangereux récidiviste ! Et, ce n'est pas son avocat commis d'office qui va le tirer de là !

« Je suis dans le couloir de la mort parce que c’est l’endroit le plus sûr où me mettre. Il paraît que les kidnappeurs tendent à rencontrer des difficultés avec la population carcérale ordinaire, on a donc trouvé un moyen de me protéger en me donnant ma cellule personnelle dans le couloir de la mort. Je médite sur l’ironie qui consiste à me placer pour ma sécurité parmi des hommes dont la mort est programmée. »

Ian Levison plonge le lecteur dans un univers kafkaïen et dans les pensées du narrateur. L'injustice, l'incompréhension et l'impuissance prédominent. Dans ce cauchemar éveillé, rien ne semble pouvoir l'extirper des rouages d'un système implacable et inhumain. Sans avoir l'air d'y toucher, ce récit plutôt ironique est une charge contre la justice américaine. Une dénonciation qui devient encore plus forte lorsque que le narrateur passe du statut d'accusé et de condamné à celui de victime... Ce citoyen n'en reste pas moins une sorte de sujet que la société exploite encore selon ses besoins...

« Et si je vous racontais l’un des nombreux après-midi que j’ai passés avec un homme qui aurait été heureux de saigner à blanc avec le manche d’une brosse à dents si par mégarde jje l’avais appelé par son prénom ? La vérité c’est qu’une fois que vous savez que d’autres êtres humains peuvent vous mettre dans une cage, vous comprenez que votre liberté, et tout ce que vous tenez pour acquis dans votre vie, dépendent entièrement du caprice de quelqu’un de plus puissant que vous. (…) Et une fois que vous savez à quel point votre place dans la société est réellement fragile, vous ne pouvez plus l’ignorer après avoir été libéré. C’est ancré en vous. Vous avez vu derrière le rideau, et vous êtes pour toujours une denrée avariée. »

Ce livre est une réussite totale. Et, la confirmation du talent de son auteur après un petit boulot et Les tribulations d'un précaire.

Commentaires

1. Le vendredi 10 janvier 2014, 06:27 par Lou de Libellus

Ça paraît remarquable.
« Mon objectif est de vivre ici aussi confortablement que possible, d’éviter les affrontements sauf quand ils sont absolument nécessaires »
Comme moi.
« Je suis dans le couloir de la mort »
Comme moi !? Aaah !
Je note, et le lien de ta chronique. Si j'écris sur le sujet, tu seras mentionné, une habitude.

2. Le vendredi 10 janvier 2014, 17:45 par des pas perdus

Impatient de lire ce que ton avis...