Journal (Hélène Berr)

un léger décalage...

Billet

Helene.Berr.jpg Nous parlerons de ce livre au présent, tant il symbolise la vie. Une vie assassinée arbitrairement et brutalement et pourtant, ces pages accomplissent, le mot est mal choisi, le miracle de redonner vie à Hélène Berr (1921 - avril 1945), une brillante étudiante parisienne, agrégative d'anglais.

Son journal débute le 7 avril 1942, quelques semaines avant l'obligation du port de l'étoile jaune. Les premières pages peuvent paraitre au lecteur bien insouciantes, n'évoquant quasiment pas l'Occupation. Hélène Berr nous conte une vie heureuse, pleine, intéressante, celle d'une jeune femme qui s'ouvre à l'amour, qui est passionnée par ses activités estudiantines et musicales, son bénévolat à la bibliothèque de la Sorbonne, qui dévoile ses sentiments par rapport aux siens, qui narre ses weekends à la campagne...

Et puis, le 29 juin 1942, elle évoque incidemment, quasiment de manière anecdotique, l'étoile jaune, ce qui pour le lecteur, avec les connaissances actuelles, est incroyable. Mais au fil des pages, à mesure que les mesures antisémites et la pression de l'occupant nazi s'intensifient, on découvre une Hélène Berr engagée pour libérer son père déporté à Drancy, sauver des enfants dont les parents ont été déportés. Une femme intelligente, clairvoyante, analysant parfaitement les ressorts de l'infernale machine qui broie des vies humaines, et très consciente du sort qui l'attend. Une femme d'action et de réflexion qui ne cède pas à la haine.

Le journal s'arrête le mardi 15 février 1944. Transférée avec sa famille à Drancy, déportée à Auschwitz puis à Bergen-Belsen, elle décédera en avril 1945, juste avant la libération du camp. Au cours de cette lecture, nous nous sommes souvent arrêtés pour lire et relire certaines phrases. Alors, pour inciter à lire ce journal et accessoirement terminer ce billet, plutôt que d'employer des superlatifs, nous proposons ces quelques citations de Hélène Berr :

Est-ce que beaucoup de gens auront eu conscience à 22 ans qu'ils pouvaient perdre toutes les possibilités qu'ils sentaient en eux - et je n'éprouve aucune timidité à dire que j'en sens en moi d'immenses, puisque je les considère comme un don qui m'est fait, et pas comme une propriété - , que tout pourrait leur être ôté, et ne pas se révolter ? (mercredi 27 octobre 1943)

"Que voulez-vous, Madame, je fais mon devoir !" (un policier) Qu'on soit arrivé à concevoir le devoir comme une chose indépendante de la conscience, indépendante de la justice, de la bonté, de la charité, c'est la preuve de l'inanité de notre prétendue civilisation.

La chose terrible, c'est que dans tout cela, on voit très peu de gens sur le fait. Car le système est si bien organisé que les hommes responsables paraissent peu. (...) Il est certain qu'il a fallu un minimum d'hommes pour organiser et exécuter ces persécutions. (mardi 9 novembre 1943)

Nous nous reposerons quand nous serons morts.(mardi 7 décembre 1943)

Pourquoi suis-je inquiète ? Je n'ai pas peur. Et depuis le début je m'y attends. Mais je m'y attends depuis si longtemps que je finis par me demander si ce n'est pas stupide d'attendre en sachant à quoi on est exposé. Si ce n'est pas du laisser-aller. je ne crois pas, puisque je reste ici en étant parfaitement consciente de ce qui peut arrive, et qu'il s'agit d'un choix volontaire. (mercredi 8 décembre 1943)

Comme la morale et le respect de l'humanité disparaissent vite lorsqu'une certaine limite est dépassée ! En un bond, on revient au stade animal. Il y a longtemps que les nazis ont rejoint ce stade. (vendredi 31 décembre 1943)

Bruit de rafles à nouveau, il y en a eu cette nuit. (samedi 22 janvier 1944)

Treize enfants et parents, que vont-ils faire de ces petits ? S'ils déportent pour faire travailler, à quoi servent les petits ?

Je souffre en pensant à la souffrance des autres. S'il n'y avait que moi, tout serait si facile. Je n'ai jamais pensé à moi, et ce ne serait pas maintenant que je commencerais. Je souffre de la chose en elle-même, de cette monstrueuse organisation des persécutions, de la déportation en elle-même. (mardi 15 février 1944)

Commentaires

1. Le vendredi 9 mai 2008, 19:24 par Rébus

Je l'ai vu en librairie cet après midi justement

2. Le samedi 10 mai 2008, 10:03 par pas perdus

Il est sorti récemment. J'ai eu la chance de le trouver en bibliothèque...

3. Le samedi 10 mai 2008, 10:04 par L'Oeil Vagabond

Que ces témoignages, surtout, ne tombent jamais dans le gouffre de l'oubli

4. Le samedi 10 mai 2008, 21:42 par pas perdus

Espérons-le, même si ça n'empêchera pas les négationnistes de sévir....